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Les multirécidivistes ne vont-ils pas en prison parce qu’il “n’y a plus de peines planchers”, comme l’explique Jonas Haddad ?

Création : 11 octobre 2024

Auteurs : Gabriel Menissier et Emma Muller, Master 1 de droit pénal à Nancy

Relecteurs : Clara Robert-Motta, journaliste

Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’université de Lorraine

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : France info, le 30 septembre 2024

L’expérience des peines planchers entre 2007 et 2014 a été peu convaincante, selon les législateurs, car elle a eu peu d’effet dissuasif sur les délits et pas d’impact sur la durée des peines prononcées pour les crimes. D’autant que la grande majorité des condamnés pour viol, qu’ils soient multirécidivistes ou pas, sont incarcérés.

Les peines planchers, véritable serpent de mer du débat public, reviennent une nouvelle fois sur la scène politique. Avant même qu’un possible rétablissement de ces peines soit examiné par l’Assemblée nationale, dans le cadre de la niche parlementaire du Rassemblement national le 31 octobre, le conseiller régional Les Républicains (LR) Jonas Haddad a remis le sujet sur la table.

Ce 30 septembre sur France info, Jonas Haddad était invité face à Emmanuel Maurel, député de la Gauche républicaine et socialiste, pour débattre sur “l’immigration”. Une fois n’est pas coutume, le débat avait dérivé sur la criminalité et la justice, et notamment sur l’affaire d’une jeune femme violée et tuée, et dont le principal suspect est une personne de nationalité étrangère déjà condamnée pour viol et sous obligation de quitter le territoire au moment des faits.

Le conseiller régional LR de Normandie s’était alors dit favorable au rétablissement des peines planchers, notamment pour les personnes poursuivies pour viol. “Aujourd’hui, on ne met pas en prison des multirécidivistes parce qu’il n’y a plus de peines planchers”, a-t-il déclaré pour justifier ses propos.

Cette affirmation, démentie par Emmanuel Maurel, est-elle vraie ? L’occasion, pour Les Surligneurs, de rappeler plusieurs points essentiels, à commencer par la notion de “peine plancher” et les peines infligées aux personnes condamnées pour viol.

Créées en 2007, supprimées en 2014

Les peines planchers avaient été créées par la loi du 10 août 2007, d’après un projet de loi de la ministre de la Justice de l’époque, Rachida Dati. Elles ont ensuite été supprimées par la loi du 15 août 2014, d’après un projet de loi de la garde des Sceaux de l’époque, Christiane Taubira.

La logique des peines planchers est simple : les juges ne pouvaient pas prononcer une peine inférieure au plancher fixé par la loi en cas de récidive légale, sauf dans des cas exceptionnels limités. Dans le cas des personnes condamnées pour viol, cette peine plancher s’élevait à cinq ans d’emprisonnement (soit un tiers de la peine encourue pour le viol).

Pour autant, ces peines minimales et incompressibles pour des personnes condamnées pour la deuxième fois (au moins) pour des faits similaires ont eu du mal à faire preuve de leur efficacité réelle. C’est la raison invoquée par le législateur qui a estimé, en 2014, qu’elles ne produisaient pas d’effet significatif sur la récidive.

Des planchers qui étaient déjà dépassés par les juridictions

Dans un article de la revue de science criminelle et de droit pénal comparé, en 2013, Christine Lazerges professeure de droit privé et de sciences criminelles à l’université Panthéon-Sorbonne revenait sur les impacts de cette mesure. “Cette loi est inutile pour les crimes, les Cours d’assises prononçant déjà des peines supérieures aux peines minimales pour les récidivistes, elle produit par contre des effets massifs pour les délits”, écrivait-elle.

Bien qu’elle n’ait été effective qu’entre 2007 et 2014, cette loi a, en effet, eu un fort impact sur la surpopulation carcérale. Selon les évaluations du ministère de la Justice en 2012, cette loi aurait entrainé une augmentation de 4 000 années d’emprisonnement ferme supplémentaires prononcées par an, par l’ensemble des juridictions françaises.

L’“effet modeste sur la délinquance est à mettre au regard des coûts engendrés en termes d’incarcération”, est-il écrit dans un rapport de l’Institut des politiques publiques, un centre d’études lié à la Paris School of Economics. Les auteurs avaient observé que, concernant les délits, l’instauration de peines planchers n’avait eu qu’un “faible effet dissuasif” à moyen terme et aucun effet dissuasif “à court terme”.

L’impact de ce type de réforme est donc largement remis en question. Qu’en est-il maintenant de la seconde partie de l’affirmation de Jonas Haddad selon laquelle les multirécidivistes ne sont pas en prison aujourd’hui ?

Pour les viols : 92,6 % de réclusion criminelle ou d’emprisonnement ferme

D’après le Service statistique ministériel de la justice, entre 2017 et 2022, les personnes condamnées pour viol ont été condamnées à une réclusion criminelle ou à un emprisonnement ferme dans 92,6 % des cas, à un emprisonnement avec sursis partiel dans 5,2 % des cas et à un emprisonnement avec sursis total dans seulement 2,2 % des cas.

Des chiffres qui sont confirmés par une étude précédente de 2018 du Bulletin statistique du ministère de la Justice. “L’emprisonnement ferme est la règle pour sanctionner les viols commis par un auteur majeur au moment des faits, avec un quantum moyen [durée moyenne de la peine privative de liberté, ndlr] de 9,6 ans”, est-il écrit. Cela contredit l’idée que les personnes condamnées pour viol, qu’ils soient récidivistes ou non, échappent à la prison.

De plus, et toujours selon le même rapport, entre 2007 et 2016, 12 689 personnes, dont 9 059 majeurs, ont été condamnées pour viol. Parmi elles, 464 (soit 3,7 %) étaient en situation de récidive légale, c’est-à-dire qu’elles avaient déjà été définitivement condamnées pour un autre crime avant de commettre ce viol. En 2019, d’après l’Insee, cette proportion plutôt faible était confirmée : 5,3 % des personnes condamnées pour viol étaient en état de récidive légale.

Si les statistiques spécifiques pour le viol ne sont pas disponibles, il est clair que les condamnations pour les récidivistes sont plus lourdes d’une façon générale. En 2019, toujours selon l’Insee, 12 % des peines pour réclusion criminelle étaient prononcées contre des récidivistes alors qu’ils représentent 8 % de l’ensemble des condamnés pour crime.

Il est difficile d’établir un lien strict entre le prononcé des peines planchers et la récidive. Que le législateur souhaite être sévère envers les récidivistes ou les non-récidivistes, pourquoi pas, mais encore faut-il qu’il connaisse la pratique des juges en la matière.

 

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