Les ministres démissionnaires pouvaient-ils voter et être élus à des postes clés à l’Assemblée nationale ?

Sunala, CC 3.0
Création : 2 août 2024

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public

Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Un ministre qui est aussi député doit choisir entre l’un ou l’autre, cumuler les deux fonctions est impossible. La question se pose pourtant dans la mesure où les ministres du gouvernement Attal sont membres d’un gouvernement démissionnaire qui ne gère plus que les affaires courantes du pays.

Casse-tête chez les spécialistes du droit constitutionnel. Le 18 juillet dernier, la députée Renaissance Yaël Braun-Pivet a été réélue à la présidence de l’Assemblée nationale, coiffant au poteau son rival communiste, André Chassaigne de seulement 13 petites voix. 

En théorie, les résultats sont sans appel : le candidat obtenant le plus de voix l’emporte. Mais cette fois, les votes ne se sont pas passés comme prévu. En effet, dix-sept ministres démissionnaires — mais chargés de régler les affaires courantes — et élus députés ont participé aux votes. De quoi faire pencher la balance en faveur de la candidate du parti gouvernemental. 

Et la scène s’est répétée pour les élections des membres du bureau de l’hémicycle. Certains “ministres-députés” ayant même été élus à des postes clés de l’Assemblée. Une situation qui a provoqué la colère de la gauche qui dénonce une atteinte à la séparation des pouvoirs : “Le vote à l’Assemblée est le nouveau coup de force d’une clique prête à tout pour garder tous les pouvoirs. Une ligne rouge est franchie avec le vote illicite de ministres. Le système démocratique tout entier est mis en cause”, a par exemple écrit Jean-Luc Mélenchon sur le réseau social X. 

Mais par-delà les considérations politiques, qu’en est-il du droit ? Les “ministres-députés” ont-ils vraiment participé à un vote “illicite” ?

Député ou ministre, il faut choisir

L’article 23 de la Constitution pose un principe clair : “Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire“. En vertu de la séparation des pouvoirs, un ministre qui exerce un mandat de député doit le mettre en suspens dès lors qu’il entre au Gouvernement. Par conséquent, il ne peut pas participer au vote de la loi ou à l’élection du Président de l’Assemblée. Il peut encore moins être élu au sein du Bureau de l’Assemblée ou dans les commissions, ces postes ne pouvant être pourvus que par des députés en exercice. Comme les ministres suspendent leur mandat à leur entrée au gouvernement, ils ne remplissent pas les critères pour être élus aux postes clés de l’Assemblée.

La question épineuse des ministres démissionnaires

La question est pourtant plus nuancée. Malgré le principe posé par la Constitution, les dix-sept ministres-députés, comme Gérald Darmanin, Gabriel Attal ou Marc Fesneau, ont voté lors de l’élection de la Présidence de l’Assemblée. Yaël Braun-Pivet, issue de la coalition au Gouvernement, a remporté l’élection avec quatorze voix d’avance. Les votes des ministres ont alors pu être déterminants. Deux autres exemples, Roland Lescure, actuel ministre de l’Industrie, a été élu Vice-président de l’Assemblée, et Jean-Noël Barrot, ministre chargé de l’Europe, est devenu Président de la commission des affaires étrangères. Y a-t-il eu atteinte à la séparation des pouvoirs, comme le suggère l’ancien Président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré ?

Rien n’est moins sûr. La situation est particulière car le Gouvernement Attal, auquel appartiennent les ministres-députés est démissionnaire depuis le 16 juillet. En attendant la nomination du prochain Gouvernement, les ministres restent en poste mais seulement pour expédier les affaires courantes. C’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas prendre de mesures politiques ni engager des réformes. Pour le professeur de droit public Jean-Philippe Derosier, cette situation ne délivre pas les ministres de leur incompatibilité car ils demeurent membres de l’exécutif.

Une loi au cœur du litige

L’article LO153 du code électoral dispose que l’incompatibilité de l’article 23 de la Constitution ne prend effet qu’un mois après la nomination du ministre. Concrètement, lorsqu’un nouveau Gouvernement se forme, certains députés sont nommés. Passé le délai d’un mois après cette nomination, ils deviennent pleinement ministres et doivent abandonner leur mandat de députés. L’article précise que pendant ce délai, les députés nommés au Gouvernement ne peuvent pas prendre part aux scrutins, et donc aux élections internes de l’Assemblée. Cette incompatibilité tombe si le Gouvernement est démissionnaire avant l’expiration du délai d’un mois. Mais cela concerne le cas où le député est nommé ministre, et non l’inverse. En l’occurrence, les ministres ont été élus députés en étant déjà au Gouvernement.

La situation est inédite. Jusqu’à présent, après quasiment chaque élection législative, le Gouvernement en place démissionnait et un nouveau était formé dans la foulée avant les élections internes de l’Assemblée. Les ministres alors tous nouvellement nommés. Dans le cas qui nous intéresse, le Gouvernement a certes démissionné après l’élection, mais il n’a toujours pas été remplacé. Les ministres-députés ont voté en étant membres du Gouvernement depuis au moins plusieurs mois.

Une question toujours en suspens

Un recours a été formé devant le Conseil constitutionnel pour contester l’élection de Yaël Braun-Pivet au Perchoir. La question posée au Conseil était de savoir si les ministres pouvaient prendre part à ce vote. Dans une décision du 31 juillet dernier, le Conseil a déclaré qu’il n’était pas compétent pour juger de l’élection du Président de l’Assemblée. Dès lors, la question ne sera jamais tranchée, à moins que la compétence ne soit donnée au Conseil par le biais d’une loi organique.

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