Les hommes d’un village vietnamien doivent-ils se couper les bras pour se marier ?
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste
Source : Compte Instagram, le 11 février 2025
Un faux reportage affirme à tort que les hommes d’un village s’amputent de leurs bras en preuve d’amour. Réalisées au Vietnam, les vidéos ont été détournées et illustrent simplement l’histoire d’hommes en situation de handicap.
L’information semble tellement ubuesque qu’il est difficile de la croire. Selon plusieurs publications Instagram, des hommes seraient prêts à sacrifier leurs bras en s’amputant pour prouver leur amour à leur compagne et ainsi pouvoir se marier. Les images montrent de nombreux hommes amputés et accompagnés, pour certains d’entre eux, de partenaires qui semblent être leurs femmes.
« Dans ce village, les femmes ne demandent ni dot, ni maison, ni voiture. Elles ne veulent qu’une seule chose : les bras de leurs maris. Ne pas avoir de bras est un signe distinctif des hommes mariés dans cette tribu », affirme la voix off. Malgré les milliers de « like » reçus par certains des posts, cette description est fausse. Il s’agit en réalité d’une vidéo tronquée qui détourne des reportages décrivant le quotidien de personnes handicapées.
Les deux vidéos originales utilisées dans le montage ont été publiées en décembre de 2024, sur une chaîne Youtube très populaire (2,46 millions d’abonnés) au Vietnam, et cumulent deux millions de vue. Elles ont été réalisées par une entreprise locale, Doc La Viet Nam, qui affirme, selon les informations disponibles sur son site Internet, produire « des vidéos dans un style unique et humoristique pour dépeindre des histoires étonnantes qui sont vues par des centaines de millions de téléspectateurs dans le monde entier ».
Contactée, l’entreprise n’a pas répondu à nos questions. En revanche, les spécialistes sollicités par Les Surligneurs sont formels : ces images ont été détournées de leur sens originel.
Des hommes victimes d’accidents du travail
« Je m’empresse de démentir formellement [le contenu de cette vidéo]. Le reportage est totalement détourné : les handicapés — à cause d’accidents dont l’origine n’est pas précisée — qui y sont interviewés se contentent seulement de proclamer leur amour pour leurs femmes », nous indique Pierre Journoud, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paul-Valéry Montpellier (UPVM) et responsable de la formation du diplôme universitaire Tremplin pour le Vietnam.
« La plupart des hommes dans la vidéo sont des victimes d’accidents du travail. La vidéo explique en partie comment leurs épouses ou conjointes aident et supportent ces hommes dans la vie de tous les jours », confirme Pierre Asselin, professeur d’histoire à l’université de San Diego et spécialiste de la guerre du Vietnam. Des infographies utilisées dans l’une des deux vidéos (à 19min58s et 21min58s) suggèrent que certains des hommes interviewés ont été victimes d’électrisations graves.
Même son de cloche pour Michel Mouyssinat, fondateur de l’Institut francophone international, établissement situé à Hanoï dont il fut le directeur pendant cinq ans : « Ce sont des victimes d’accidents de différentes provinces qui se réunissent, tout simplement ». Et de préciser, non sans ironie : « Des amis vietnamiens m’ont confirmé que les hommes ne s’amputaient pas pour donner une preuve d’amour, ça me rassure ! »
Dans la vidéo falsifiée, le commentaire affirme que « si un homme souhaite garder ses bras intacts toute sa vie, non seulement il ne pourra jamais se marier mais il sera également expulsé de sa famille ». Pourtant, « il n’y a aucune tradition de la sorte au Vietnam », certifie Pierre Asselin.
Au contraire, suggère Giang Huong Nguyen, chargée de collections en langues et littératures d’Asie du Sud-Est à la Bibliothèque nationale de France, « les Vietnamiens font preuve d’une mentalité très positive quelle que soit la situation à laquelle ils sont confrontés. La solidarité interpersonnelle est très forte dans le pays. »