Les enjeux de la nomination du nouveau Procureur général sur proposition d’Éric Dupond-Moretti, actuellement mis en examen devant la Cour de justice de la République

Création : 18 octobre 2022
Dernière modification : 5 juin 2023

Autrice : Anaïs Chagneaud, master de droit pénal et politiques criminelles, Université Paris Nanterre

Relectrice : Audrey Darsonville, professeure de droit pénal et sciences criminelles, Université Paris Nanterre

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng, Emma Cacciamani et Yeni Daimallah



Les enjeux de la nomination du nouveau Procureur général sur proposition d’Éric Dupond-Moretti, actuellement mis en examen devant la Cour de justice de la République.

Éric Dupond-Moretti peut légalement proposer le nom de son propre accusateur devant la CJR…

La loi du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature prévoit que les magistrats du Parquet, dont le Procureur général de la CJR, sont placés sous l’autorité hiérarchique du Garde des Sceaux. En outre, cette même loi prévoit qu’ils sont nommés par le Président de la République, sur proposition du Garde des Sceaux, après avis du Conseil supérieur de la magistrature.

… et Éric Dupond-Moretti aura autorité sur cet accusateur

Ce principe de subordination hiérarchique des magistrats du Parquet au Garde des Sceaux a longtemps été décrié eu égard au principe d’indépendance de l’autorité judiciaire. Le Conseil constitutionnel avait tranché la question dans sa décision en 2017,  affirmant que cette subordination au ministre de la Justice ne méconnaissait aucun principe garanti par la Constitution, particulièrement s’agissant des principes d’indépendance de l’autorité judiciaire et de séparation des pouvoirs. En effet, les « Sages » avaient déclaré que l’ingérence de l’exécutif était tempérée par le fait qu’il ne pouvait adresser aucune instruction dans les affaires individuelles (comme c’est le cas de l’affaire Dupond-Moretti), et que les magistrats bénéficiaient en tout état de cause du principe de liberté de parole à l’audience. Enfin, ils avaient relevé que les magistrats du Parquet demeurent soumis au principe d’impartialité dans l’exercice de l’action publique, ce qui garantit leur indépendance. 

S’agissant de l’affaire Dupond-Moretti, ce dernier a été mis en examen pour prise illégale d’intérêts le 16 juillet 2021, à la suite de deux plaintes de syndicats de magistrats. En tant que membre du Gouvernement accusé d’avoir commis une infraction dans le cadre de ses fonctions, c’est la Cour de justice de la République, juridiction créée en 1993, qui a la charge du procès. L’accusation sera menée par le Procureur général près la Cour de cassation. Rappelons que le Garde des Sceaux a une autorité sur les magistrats du parquet sauf sur ceux du parquet général de la Cour de cassation.

François Molins partant à la retraite, c’est Éric Dupond-Moretti qui devrait proposer à la nomination son futur accusateur

L’actuel magistrat nommé à ce poste, François Molins, part à la retraite et sera remplacé en juin 2023. Son successeur sera nommé par le Président de la République sur proposition du Garde des Sceaux Dupond-Moretti (qui n’a pas répondu à nos sollicitations). Or, cette nomination devrait a priori intervenir en parallèle de son propre jugement. Cela conduirait donc le Garde des Sceaux à nommer celui qui portera l’accusation contre lui. La question se pose avec une acuité toute particulière en raison de la nature des faits qui lui sont reprochés, puisqu’il est précisément accusé d’avoir usé de l’influence de sa fonction pour satisfaire des intérêts personnels.

Une possibilité pour remédier à cette situation problématique serait que le nom du futur Procureur général soit choisi par Elisabeth Borne, Première ministre, pour transmission au Président de la République. Ce dispositif de déport aurait le mérite d’éviter tout conflit d’intérêts mais il n’est, aujourd’hui, pas prévu par les textes (le décret pris en 2020 par Jean Castex, parfois évoqué, ne règle pas le problème).

Cette saga juridique ubuesque alimente donc le débat omniprésent de ces dernières années à propos de l’indépendance du Parquet, à une époque où la CJR souffre déjà de nombreuses critiques, étant jugée trop laxiste à l’égard des membres du Gouvernement.


Le 18/10/22 nous avons publié cet article sur la nomination du procureur général par Eric Dupond-Moretti. Il a été modifié à la suite d’un signalement, afin de préciser que le GDS n’a pas autorité sur les magistrats du parquet général de la Cour de cassation. Nous avons partagé cette rectification sur Twitter (ajout de cette mention le 03/06/23 dans le respect de l’article 3.3.C du Code européen de fact-checking).

Cet article a été rédigé dans le cadre d’un événement organisé le jeudi 13 octobre, avec le soutien de l’OTAN, pour former les lecteurs des Surligneurs à la lutte contre la désinformation dans le domaine du droit. 

L’activité proposée était un événement en ligne d’une journée sous la forme d’un « legalthon » consacré à l’État de droit. RESILEX visait à rassembler des chercheurs en droit, des étudiants, des personnes d’influence, des journalistes et le grand public afin d’améliorer la résilience de la société dans le domaine de l’État de droit et de la démocratie. Les participants ont surveillé l’actualité et ont repéré les informations erronées ou les approximations juridiques présentes dans les propos des personnalités publiques. 

Les articles ont été rédigés et publiés en toute indépendance par les Surligneurs, selon la méthode utilisée pour tous les articles de legal-checking publiés sur le site. 

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Le 5 juin 2023, l’’explication de cet évènement a été modifiée dans le cadre de la mise en conformité des Surligneurs avec l’article 3.1.C du Code européen de fact-checking.

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