Les élèves britanniques n’apprennent pas que Stonehenge a été « construit par des Noirs »
Auteur : Jean-Baptiste Breen, étudiant en master de journalisme à Sciences Po Paris
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W
Source : Compte Facebook, le 2 juin 2025
Des internautes s’insurgent contre le système scolaire britannique qui enseignerait aux élèves que Stonehenge a été « construit par des Noirs ». La controverse s’appuie en réalité sur un seul livre, mis à disposition des enseignants. Si la rigueur méthodologique de l’ouvrage peut être remise en question, il n’affirme pas que « les Noirs » ont érigé le site historique.
Des voix s’élèvent au fond de la classe. Le 24 mai 2025, « Le Média en 4-4-2 » s’indigne sur Facebook. « Stonehenge construit par des Noirs : Jusqu’où ira la réécriture woke de l’Histoire ? ». Il fustige ensuite l’école britannique, qu’il accuse de « sacrifier la vérité sur l’autel de l’idéologie », et assure dans un article qu’il existerait même « un manuel affirmant sans sourciller que des Africains auraient érigé Stonehenge ». Une semaine plus tard, d’autres comptes (ici et ici) clament à leur tour que « les écoliers britanniques apprennent que Stonehenge a été construit par des Noirs ».
Les Surligneurs retracent le parcours de cette controverse. Elle trouve son origine dans un seul livre. Si sa rigueur méthodologique peut être critiquée, il n’affirme pas que « les Noirs » ou même « les Africains » ont été les bâtisseurs de Stonehenge, le célèbre cercle de pierres préhistoriques situé au sud de la Grande-Bretagne. Extrapolés et mal traduites, les propos de cet ouvrage se sont frayés un chemin d’un rapport britannique jusqu’aux réseaux sociaux français.
Le rapport d’un think tank extrapolé
L’histoire commence le 17 mai 2025 par la publication d’un rapport intitulé « Lessons from the Past [Les leçons du passé, ndlr] » par le think tank Policy Exchange. Fondé en 2002 par deux députés du Parti conservateur, Policy Exchange est considéré comme « le plus influent think tank de droite » en Grande-Bretagne par The Telegraph.
Le rapport examine l’enseignement de l’histoire dans les écoles britanniques. Critiques vis-à-vis des efforts fournis par une majorité d’établissements pour « diversifier ou décoloniser » leurs programmes, les auteurs relèvent « de nombreux cas d’utilisation de ressources de mauvaise qualité » par les enseignants. Ils prennent l’exemple d’un livre qui serait, disent-ils, « utilisé dans les salles de classe [et] qui affirme que les Noirs ont construit Stonehenge ».
Ce discours s’est ensuite retrouvé mot pour mot, dès le lendemain, dans un journal télévisé britannique, le GBNEWS Breakfast, avant d’être repris dans l’Hexagone, dans sa traduction littérale. Mais cette traduction néglige un important point sémantique.
« Noirs » et « personnes de couleur noire »
Les mots ont un sens et c’est le nœud du problème qui entoure le livre mis en cause par le rapport. Ce dernier n’explique pas que « les Noirs ont construit Stonehenge », mais plutôt que les architectes de Stonehenge étaient noirs de peau. Subtil.
Cette différence est moins évidente à saisir en français. Mais le livre, que le rapport considère fallacieux, rend la distinction claire. Intitulé « Brilliant Black British History », ce livre, édité par Bloomsburry en 2023, s’intéresse à « l’histoire noire de la Grande-Bretagne ».
Destiné à de très jeunes écoliers, ce livre utilise un vocabulaire simple. À la neuvième page, l’autrice nigériane Atinuke écrit qu’il y a « environ 12 000 ans, les humains modernes se sont installés en Grande-Bretagne. Ils étaient noirs [“Black”] – comme tous les Européens de l’Ouest à cette époque. Il y a environ 6 000 ans, des personnes à la peau marron [“brown skin”] ont migré vers l’actuelle Grande-Bretagne. Ils ont apporté l’agriculture et ont construit Stonehenge ». Il s’agit alors de parler de personnes dont la peau était foncée, mais pas d’attribuer à un groupe ethnique la construction de Stonehenge comme le font les publications. Encore moins de parler « d’Africains ».
Qui plus est, ce passage effectue une distinction entre les humains à la peau noire et d’autres à la peau marron, arrivés 6 000 ans plus tard. C’est bien à ces populations que le livre attribue la construction de Stonehenge. Il n’affirme donc en rien que des humains noirs ont construit Stonehenge.
Ce livre fait partie d’un « pack de ressources pédagogique pour les 7-11 ans » [“KS2 teaching resource pack”, KS2 étant la classe d’âge allant de 7 à 11 ans, ndlr]. Il n’est pas possible d’établir la portée de cet ouvrage dans les classes britanniques. Le Ministère de l’éducation britannique précise aux Surligneurs qu’il « n’y a aucune obligation pour les enseignants d’utiliser ce livre dans leurs cours ». Sa potentielle utilisation ponctuelle par certains enseignants, ne permet, en aucun cas, d’insinuer, comme le font les publications, que tous les élèves britanniques « apprennent que Stonehenge a été construit par des Noirs ».
Autrement dit, déclarer que les enfants de Grande-Bretagne apprennent que « les Noirs ont construit Stonehenge », est, au choix, une déformation des propos d’un seul livre ou une erreur fortuite de traduction. Cela étant dit, ces extrapolations infondées n’exemptent pas l’ouvrage de toute critique.
Méthodologie hasardeuse
À grands coups de généralisations, le livre d’Atinuke s’égare parfois sur les chemins tortueux de la rigueur scientifique. Des études, publiées ici en 2018 et ici en 2025, démontrent bien que de nombreux individus européens entre 12 000 et 2 000 avant J. C. avaient la peau foncée. Mais aucun de ces travaux ne prétend, comme le livre le fait, que « tous les Européens de l’Ouest étaient noirs de peau ». Ils témoignent en revanche de l’importante diversité de pigmentation de la peau parmi nos ancêtres préhistoriques.
Responsable d’une de ces études, Guido Barbujani, professeur en génétique à l’université de Ferrara, explique aux Surligneurs que les échantillons d’ADN collectés et étudiés par son équipe montrent qu’il « y avait effectivement des personnes à la peau foncée en Europe et en Grande-Bretagne à ces époques, mais rien n’indique qu’ils étaient les seuls présents ». Des résultats qui mettent à mal les affirmations du livre d’Atinuke sur Stonehenge. Contactées, la maison d’édition Bloomsburry et l’autrice ne nous ont pas répondu.
Aucune donnée scientifique ne prouve, comme le clame l’ouvrage, que des humains à la peau marron sont à l’origine du mythique site britannique. Pour Guido Barbujani, aucune certitude n’existe sur cette question. « Il est impossible d’établir la couleur de peau des personnes qui ont construit Stonehenge », conclut-il.