Les cartes des températures ne sont pas « rougies » pour faire peur
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relecteur : Nicolas Turcev, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W
Source : Compte Facebook, le 3 juillet 2025
D’après des publications sur les réseaux sociaux, le code couleur pour représenter les températures sur les cartes météo aurait été modifié afin de le rendre plus foncé, et donc plus inquiétant. Une accusation qui ne repose sur aucun fondement. Le réchauffement climatique est lui, en revanche, bien documenté.
Alors que la France a connu, du 19 juin au 4 juillet 2025, une vague de chaleur « exceptionnelle par sa durée en début d’été » d’après Météo France, certaines publications sur Facebook assurent que les cartes des températures, comme celles aperçues à la télévision, sont manipulées afin de faire peur.
« Ce n’est pas la température qui a changé, c’est le filtre qu’on met dessus. Une stratégie visuelle pour vous faire ressentir plus de menace, même quand les chiffres sont similaires à ceux d’il y a 50 ans », affirme, par exemple, un internaute. Concrètement, d’après cet utilisateur, le code couleur pour afficher les températures aurait été volontairement modifié. « En 1970, il fallait dépasser 35 °C pour voir apparaître du rouge sur une carte météo. En 2020, le rouge commence dès 28 °C ». Ces accusations sont-elles justifiées ?
Les publications s’appuient sur un graphique en barres supposé démontrer que, sur les dernières décennies, le seuil de température minimal pour faire apparaître un code couleur rouge a été abaissé plusieurs fois. D’où vient ce schéma ? Nous n’en savons rien. Les Surligneurs n’ont pas été en mesure de retrouver la source de ce graphique et les posts ne précisent rien à ce sujet.
Sur le fond, la théorie d’une coloration volontairement exagérée des cartes par les médias et météorologues a été maintes fois diffusée et contrée par le passé. Comme nous pouvons le constater avec ces articles de l’AFP, de TF1, de France Info, du Figaro ou encore de la BBC.
Des cartes plus rouges à juste titre
Hier, comme aujourd’hui, les internautes qui relaient cette fausse information oublient un point essentiel. « Les cartes que l’on voit à la télé ou sur Internet sont plus rouges tout simplement parce qu’il fait plus chaud qu’avant et de manière plus fréquente », résume Paul Marquis, météorologue indépendant et fondateur d’E-Meteo Service.
« S’il y a plus fréquemment du rouge, c’est qu’il fait plus chaud. Point », affirmait lui aussi, sur X, le 18 juin 2025, Serge Zaka, vice-président de l’association Infoclimat. Le spécialiste de l’étude de l’impact du changement climatique sur l’agriculture répondait justement à une polémique sur la colorimétrie des cartes, lancée par le journaliste Frédéric Hermel sur RMC.
Autrement dit, selon ces spécialistes, le réchauffement climatique est la raison principale du rougissement des cartes. Une théorie corroborée par les données collectées par Météo France. Selon l’organisme public, 50 vagues de chaleur ont été recensées depuis 1947. Un tiers d’entre elles ont eu lieu avant l’an 2000 et le reste après.
De nouvelles teintes pour une nouvelle réalité
La colorimétrie des cartes est aussi très souvent corrélée aux normales de saison. Ainsi, des températures bien plus élevées que ce qui est habituellement observé pour une saison et un territoire conduisent à recourir à une teinte rouge, ou à une teinte bleue dans le cas contraire.
« Une température de 20 °C en février apparaît en rouge car elle est très supérieure aux moyennes de saison », détaille sur son site Internet, Guillaume Séchet, météorologue et présentateur météo sur BFM TV. « En revanche, la même valeur en juillet apparaît en bleu car elle se situe sous les moyennes estivales. Il est donc possible de voir des cartes rouges en plein hiver et des cartes bleues en plein été. »
Afin de coller au plus près de la réalité statistique, les normales de saison sont révisées tous les dix ans par Météo France. Ce processus peut donc influencer la colorimétrie des cartes. Comme la température de référence évolue avec le temps, le choix de couleur pour illustrer une même température peut varier d’une époque à l’autre en fonction de la différence avec la normale de saison en vigueur.
Mais contrairement à ce qu’affirment certains internautes, cette mise à jour des données ne va pas dans le sens d’un abaissement du seuil utilisé pour peindre en rouge les cartes météo. Au contraire, avec le réchauffement climatique, les normales augmentent. Logiquement, les valeurs minimales absolues de température nécessaires pour recourir au rouge croissent elles aussi.
« En termes de moyenne calculée sur 30 ans, la nouvelle normale de température calculée sur la période 1991-2020 en France s’établit pratiquement à 13 °C (12,97 °C) en hausse de +0,42 °C par rapport à 1981-2010 », indique Météo France. Conséquence : des températures qui pouvaient apparaître dans une couleur vive il y a dix ans sur les cartes des médias, ne le sont plus nécessairement aujourd’hui.
Il est possible de constater cet effet en comparant deux bulletins météo de TF1 : ceux du 15 juillet 2002 et du 15 juillet 2025. Dans le premier (à partir de 1 min 44, archive), une température de 21 °C en Bretagne est illustrée par de l’orange, quand une température supérieure d’un degré, dans la même région, est signalée par un bleu clair, 23 ans plus tard (à partir de 1 min 13, archive).
En réalité, contrairement aux rumeurs qui prétendent que les cartes sont « rougies » à dessein, si les normales n’avaient pas changé, les pics de chaleur observés autour de 40 °C en été couvriraient la France de suie. « Si on adoptait les couleurs d’il y a 40 ans avec les températures d’aujourd’hui, certaines cartes seraient marron ou noires », explique le météorologue Paul Marquis.
Son site, E-Meteo Service, ainsi que meteociel.fr — dont de nombreuses cartes sont relayées sur les réseaux sociaux — nous ont d’ailleurs confié avoir adopté de nouvelles couleurs, tournées vers le violet, pour refléter les températures extrêmes observées ces dernières années.
Enfin, comme l’a indiqué Météo France aux Surligneurs, chaque média « propose sur [ses] cartes des gradients de couleurs qui correspondent à [sa] propre charte graphique pour présenter [son] bulletin ». Ainsi, un rouge sur TF1 n’équivaut pas à un rouge sur France 2 ou sur M6. Mais dans tous les cas, l’attribution des couleurs n’obéit pas à une volonté de manipuler l’opinion, mais bien à des critères statistiques et scientifiques.