Les anesthésiants dentaires sont-ils contaminés au graphène ?
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Compte Facebook, le 24 mai 2024
Relayée et commentée de nombreuses fois, une publication Facebook qui assure s’adresser “à tous les dentistes” affirme que “la quasi totalité des anesthésiants est contaminée au graphène”. Une accusation fournie sans preuve et contredite par les informations sanitaires disponibles.
Graphène, ce nom ne vous dit peut-être rien, il est pourtant décrit par certains scientifiques comme LE matériau du futur : électronique, sport, énergie, santé, “le graphène est l’un des matériaux les plus intéressants et les plus polyvalents au monde”, est-il ainsi écrit sur le site Internet de Graphene Flagship, le consortium créé et soutenu par la Commission européenne en 2013 et qui réunit près de 120 partenaires pour structurer la recherche sur le sujet.
“Le graphène fait l’objet de recherches pour la fabrication de capteurs de très haute sensibilité, de dispositifs électroniques souples, notamment pour les voitures, avions, satellites. Il stocke très facilement l’énergie, ce qui en fait un matériau de choix pour les batteries de voitures”, énumère le quotidien Ouest-France.
Pour d’autres, visiblement davantage sceptiques, le graphène, “matériau toxique”, est présent dans “la quasi-totalité des anesthésiants”, notamment ceux utilisés chez les dentistes. Autrement dit, selon ce point de vue, en prenant soin de votre hygiène bucco-dentaire, vous vous exposez à de graves dangers.
Une information évidemment inquiétante qui ne repose toutefois sur aucune source. Notre auteur se contente de citer “les preuves” de “certains scientifiques” mais sans les préciser. Sollicité par Les Surligneurs, celui-ci n’a pas répondu.
Une affirmation sans fondement scientifique
Sur la vidéo qui accompagne le post, la voix d’un homme prodigue quelques conseils à destination des dentistes pour éviter l’injection d‘ “oxyde de graphène”. L’anesthésiant affiché à l’écran est le “Primacaine adrenaline 1/200 000”. On comprend à l’écoute de la vidéo que cet anesthésiant est censé contenir du graphène.
Or, d’après les données publiques disponibles sur le portail dédié aux médicaments du ministère des Solidarités et de la Santé, nulle trace, ni mention, de graphène dans la composition de l’anesthésiant. Même chose sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ou sur le site spécialisé Vidal.
Un constat qui vaut pour d’autres anesthésiants dentaires : Alphacaïne, Ubistesin, Xylorolland, ou encore l’Artinibsa.
Toujours à ce propos, le service presse de Graphene Flagship renvoie Les Surligneurs vers une page dédiée à contrer la désinformation sur le matériau. Il y est notamment écrit que “Tous les ingrédients compris dans la formulation de médicaments (même à des concentrations infimes) doivent être accessibles au public et clairement indiqués sur la fiche de données du produit autorisé et approuvé pour l’usage humain. Il s’agit d’une obligation réglementaire et légale pour tous les fabricants et distributeurs de médicaments dans l’Union européenne”.
Mise en cause à tort par le passé
Vincent Bouchiat, co-fondateur et PDG de Grapheal, une start-up grenobloise, évoque “une infox comme durant la crise COVID, où une théorie conspirationniste indiquait la présence de graphène dans les vaccins”.
“La crainte concernant la présence de graphène dans certains médicaments n’est pas nouvelle. Pendant la pandémie, des rumeurs circulaient à propos de sa présence dans les vaccins contre la COVID-19”, rappelle pour sa part Kathleen Couillard, journaliste pour l’Agence Science-Presse. Des rumeurs infirmées à maintes reprises par différents médias : Reuters, AFP, USA Today, PolitiFact, dpa, Full Fact.
Le graphène est-il pour autant un matériau sans danger ? Non, estime Vincent Bouchiat : “Le graphène existe sous une grande variété de formes (monocouche, multicouche, flocons, oxyde de graphène). Certains sont toxiques, d’autres non”. Et de préciser : “À ma connaissance, il n’est pas ajouté à des spécialités pharmaceutiques à ce jour”. Un avis confirmé aux Surligneurs par Jesus de la Fuente, PDG de l’entreprise espagnole Graphenea, par ailleurs membre de Graphene Flagship.
Emmanuel Flahaut, directeur de recherche CNRS au Centre Interuniversitaire de Recherche et d’Ingénierie des Matériaux, abonde dans le même sens : “Comme pour tous les nanomatériaux, il y a “graphène” et “graphène” : on parle toujours de graphène pour des choses qui peuvent être très différentes en réalité”.
En 2021, le graphène s’était retrouvé au centre de l’actualité à la suite du retrait temporaire du marché, par les autorités de santé canadiennes, de masques contenant du graphène, car ils pouvaient “présenter des risques pour la santé”.
Une décision qui avait conduit, quelques mois plus tard, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), en France, à recommander, “du fait du manque de données sur la toxicité du graphène”, aux autorités publiques “de privilégier la mise sur le marché ou la mise à disposition de masques sans graphène”.
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