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Photo d'illustration. Domaine public.

Les allocations de rentrée scolaire sont bien utilisées pour acheter des fournitures

Création : 22 août 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste

Source : RMC, le 18 août

Comme chaque année au mois d’août, certains commentateurs jettent le doute sur la nature des achats effectués avec cette aide. Des statistiques démontrent pourtant que les parents achètent en très grande majorité des fournitures scolaires.

C’est reparti pour un tour. « Je suis contre les chèques en blanc. C’est pas possible qu’on dise « on mise sur la confiance ». […] En plus, on le sait tous, […] on ne vend jamais autant de consoles de jeu que quand l’allocation [de] rentrée est [versée] ». Le chroniqueur de l’émission d’Estelle Midi, sur RMC, Jean-Philippe Doux, ne supporte pas que l’allocation de rentrée scolaire, versée le 19 août par la Caf aux familles modestes, ne fasse pas l’objet d’un contrôle.

Comme lui, plusieurs internautes pensent que ces fonds, allant de 423 à 462 euros par enfant, sont détournés par les parents pour investir dans des achats jugés superflus ou ostentatoires, alors qu’ils devraient uniquement servir à accompagner la rentrée des enfants. « Les grandes surfaces se frottent les mains à la rentrée, [elles] voient débarquer des hordes qui ont décidé de changer leur mobilier ou leur TV, frigo, etc !», croit savoir un utilisateur de Facebook.

Cette infox, qui revient chaque année ou presque, n’est basée sur aucune étude statistique. Au contraire, les recherches menées sur les dépenses effectuées avec l’allocation de rentrée (ARS) démontrent qu’elle est majoritairement consacrée aux achats de fournitures. De nombreux articles ont déjà rectifié cette rumeur (La Dépêche, France Info, Capital, Presse Citron…).

La quasi-totalité des foyers achète des fournitures

Versée chaque année sous conditions de ressources à près de 3 millions de familles comptant un ou des écoliers, étudiants ou apprentis, l’allocation de rentrée scolaire a été revalorisée de 1,7 % en 2025 pour coller à l’inflation. Aucune loi n’encadre son utilisation, les parents sont donc libres de la dépenser comme ils le souhaitent.

Pour autant, l’immense majorité des bénéficiaires choisissent d’utiliser cet argent pour préparer la rentrée de leurs enfants. Selon une étude de la Caf datant de 2023 menée auprès de 2 000 familles touchant l’ARS, 98 % des bénéficiaires achetaient des fournitures scolaires, pour un montant moyen annuel de 146 euros sur ce poste.

Mais les coûts de scolarité des enfants ne s’arrêtent pas là. Les dépenses scolaires des bénéficiaires concernent aussi les vêtements (96 % d’entre eux), l’assurance scolaire (81%), les équipements de sport (79%), la cantine (69%), etc. Au total, sur l’année, les allocataires de l’ARS déboursent, en moyenne par enfant, 1 315 euros de frais pour envoyer leurs enfants à l’école. L’allocation de rentrée scolaire, au maximum de 462 euros par enfant, ne couvre donc qu’un tiers du coût annuel associé à l’éducation.

Son montant correspond en revanche aux dépenses réalisées au moment de la rentrée, d’environ 400 euros par enfant, indique le rapport de la Caf.

Pas de pics d’achats

Soit. Mais peut-être qu’avec un compte en banque plus fourni, les bénéficiaires de l’ARS craquent pour des écrans plats et des consoles de jeu ? Pas vraiment : les pics d’achat des télévisions se situent plutôt en début ou en fin d’année, comme l’avait documenté Libé en 2021. Les mois de versement de l’ARS, août et septembre, enregistrent les pires performances pour les ventes de moniteurs, selon des données de l’institut Gfk obtenues par le quotidien.

Quant aux consoles de jeu, d’après un rapport de l’Insee de 2019, ce sont les mois de mars et de décembre qui enregistrent le plus de ventes de jeux vidéo. En 2024, la semaine de versement des allocations de rentrée scolaire était la septième pire semaine de ventes pour les consoles de jeu en France, selon le journaliste spécialisé Oscar Lemaire. Les revenus du secteur générés au mois de septembre se situent à peu près au niveau de la moyenne annuelle. De quoi fragiliser l’hypothèse d’un boom de la consommation d’écrans liée à l’ARS.

Une aide pour des familles en difficulté

La Caf rappelle dans son rapport que l’ARS est une aide visant à soutenir les foyers « modestes ». « En moyenne, les familles bénéficiaires [avaient] un revenu mensuel de 1 836 euros nets [en 2023]. La moitié d’entre elles (49 %) sont monoparentales et, dans les trois quarts des cas, l’autre parent ne contribue pas aux dépenses scolaires en dehors de la pension alimentaire », explique l’organisme.

Une famille bénéficiaire sur six (16%), soit environ 480 000 familles, déclare devoir emprunter ou recevoir de l’argent de leur entourage pour financer la rentrée scolaire, en plus de l’ARS. Et plus des deux tiers (72 %) des foyers l’ayant touché disent que sans cette aide, ils auraient dû se serrer la ceinture.

D’où vient la rumeur ?

La légende des achats massifs d’écrans plats financés par l’ARS a été popularisée par le sénateur Edouard Courtial (Union centriste). En 2008, alors qu’il était encore député UMP (devenu Les Républicains), le parlementaire voulait amender la loi de financement de la Sécurité sociale pour que l’allocation soit versée grâce à des « chèques achats », plutôt que par simple virement.

Depuis, systématiquement démentie par les faits, la rumeur du détournement de l’ARS revient tout de même à chaque rentrée, ou presque, au gré d’amendements ou de propositions de loi soumis au Parlement.

En 2019, par exemple, la sénatrice socialiste Samia Ghali voulait mieux « contrôler » cette aide qui pourrait servir à « acheter un frigo ou un écran plat »

Deux ans plus tard, c’est le ministre de l’Éducation lui-même, Jean-Michel Blanquer, qui avait relayé cette désinformation, avant d’ouvrir la porte à une modification des modalités de versement.

Confronté par le média Brut au manque de preuves appuyant ses déclarations, celui qui a désormais quitté la vie politique avait botté en touche, préférant accuser les chiffres « assez datés » qui lui donnaient tort. Il avait alors reçu le soutien appuyé du président de la République, Emmanuel Macron. 

La Cour des comptes préconise de conserver la méthode de versement

Le fonctionnement de l’ARS pourrait-il tout de même être amélioré ? Dans un rapport paru en 2021, la Cour des comptes estimait son coût à environ 2,6 milliards d’euros annuels pour l’année 2020. Mais l’institution, d’habitude si tatillonne sur les dépenses publiques, n’a pas trouvé grand-chose à redire sur le dispositif tel qu’il existe actuellement.

Les magistrats financiers affirmaient que les modalités de versement de l’ARS, qui « couvrent toutes les familles visées, en limitant le risque d’erreurs et de fraude », « méritent […] d’être maintenues ». « Le législateur n’a pas entendu contraindre l’utilisation de cette allocation en la réservant à l’acquisition de certains produits ou services », rajoutait la juridiction.

Alors pourquoi cette obsession pour l’ARS ? D’après le sociologue des classes populaires Camille François, auteur de De gré et de force : comment l’État expulse les pauvres (La Découverte, 2023), la désinformation sur l’utilisation de l’ARS porte la trace « du vieux préjugé selon lequel les pauvres ne sauraient pas gérer leur argent, et que leur mauvaise gestion serait la cause de leur pauvreté ». Or, les principaux déterminants de la pauvreté en France sont, entre autres, l’exclusion sociale et l’inactivité.

Grâce à l’ARS, la part de ses bénéficiaires vivant sous le seuil de pauvreté a baissé de 41,2 % à 38,7 % en 2019, selon les données de la Caf. Dans le même temps, le taux de pauvreté n’a cessé de grimper en France, selon les chiffres de l’Insee. En 2023, 15,4 % des Français se trouvaient sous le seuil de pauvreté, soit le niveau le plus haut depuis 1996.