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L’épargne des français risque-t-elle d’être “volée” pour financer l’aide à l’Ukraine, comme l’affirme Florian Philippot ? 

Création : 31 mars 2025
Dernière modification : 2 avril 2025

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W

Source : Site internet des Patriotes, le 13 mars 2025

Certains dénoncent une « spoliation » de l’épargne des Français au profit de la défense et de l’Ukraine. Pourtant, les mesures envisagées relèvent davantage d’incitations financières et de choix économiques que de contraintes juridiques imposées aux citoyens.

Le financement de l’armée ukrainienne va-t-elle reposer sur une spoliation de l’épargne des Français ? C’est ce que semble croire, le président du parti eurosceptique, Les Patriotes, Florian Philippot.

Sur le site internet du parti, il évoque un supposé « vol » ou une « spoliation » de l’épargne des Français au profit de l’Ukraine, en lien avec la volonté du gouvernement d’orienter une partie de l’épargne nationale vers l’industrie de la défense, afin de renforcer la sécurité du pays.

Il prend, pour exemple, deux déclarations. La première, celle du ministre de l’Économie Éric Lombard qui fait part de son souhait de « mobiliser l’épargne privée ! », à l’Assemblée nationale, le 12 mars dernier.

Si le site des patriotes n’en fait pas mention, la citation complète du ministre n’indique en rien qu’une spoliation ou un vol soit prévu : « Je ne suis pas sûr qu’un livret dédié soit une solution parce qu’il y a déjà beaucoup d’outils d’épargne qui existent, que ce soit les fonds du Livret A (…) ou les fonds qui sont sur l’ensemble des véhicules d’investissement gérés par les banques, par les assureurs, par les gestionnaires d’actifs ».

Ensuite, le site internet renvoie à une déclaration de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen qui estime qu’il faut « transformer l’épargne privée en investissements indispensables ». Entendez : l’écologie, la transition numérique et la défense. Là encore, aucune trace de spoliation.

Si le texte publié sur le site des patriotes semble aller un peu vite dans l’interprétation des personnalités politiques, qu’en est-il du droit ? Est-ce qu’une spoliation de notre épargne est envisageable ?

Connotation juridique et historique forte

Le terme « spoliation » revêt une connotation juridique et historique forte. En France, la dernière spoliation légale de biens a eu lieu sous le régime de Vichy, avec la confiscation des biens des Juifs. La comparaison avec les mesures actuelles concernant l’orientation de l’épargne est donc inappropriée, voire déplacée.

L’analyse des dispositifs en place montre qu’il s’agit d’incitations et non de mesures coercitives. Parmi ces dispositifs, la création de portefeuilles d’actions et d’obligations liées à la défense permet aux banques de proposer des placements financiers spécifiques. Chaque épargnant reste libre d’y souscrire ou non, sans contrainte imposée.

L’État peut également lever des fonds par le biais d’emprunts sur les marchés financiers, y compris auprès des épargnants français, pour financer ses dépenses de défense. Ce type d’emprunt a déjà été utilisé par le passé, comme l’emprunt Pinay en 1958, l’emprunt Giscard à 7 % ou encore l’emprunt Balladur en 1993. Ces dispositifs restent des choix volontaires pour les investisseurs.

Incitations plutôt que contraintes

Une autre possibilité serait d’orienter une partie du Livret A vers des financements liés à la défense ou de créer un livret spécifique, à l’image du Livret de développement durable et solidaire. Comme pour tout produit d’épargne, les Français resteraient libres d’y souscrire.

Par ailleurs, l’hypothèse d’un emprunt obligatoire a déjà existé en 1983 sous le gouvernement Mauroy. À l’époque, les contribuables avaient été contraints de prêter une part de leur impôt à l’État, un emprunt qui avait été remboursé en 1985. Une telle mesure supposerait aujourd’hui une décision politique et législative spécifique.

Enfin, une autre option serait la création d’un impôt supplémentaire affecté à la défense. Une telle mesure nécessiterait l’adoption d’une loi par le Parlement et sa validation par le Conseil constitutionnel.

En somme, les dispositifs envisagés relèvent d’orientations financières et fiscales plus que de spoliations ou de contraintes systématiques. Le débat reste ouvert sur leur efficacité et leur impact, mais leur nature juridique doit être précisée pour éviter les amalgames.

Des internautes se sont également fait avoir après la parution d’un article le 30 mars dernier : « La nouvelle est tombée : Le gouvernement va confisquer l’épargne des Français à partir de cette date pour financer la défense ».

Or, vérification faite, le corps du texte précise exactement l’inverse, ce qui n’a pas empêché certains internautes de se faire piéger : « Le ministère de l’Économie a fermement nié toute intention de saisir illégalement les fonds des citoyens. Les droits de propriété étant fermement protégés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il serait inconstitutionnel de procéder à une telle confiscation de l’épargne », peut-on lire.  Le site Internet dans lequel l’article a été publié semble volontairement tromper les lecteurs dans le but de générer, plus de clics.

 

[Mise à jour, le 2 avril 2025 : ajout des deux derniers paragraphes concernant la publication d’un article au titre trompeur]