Législatives 2024 : Un ancien candidat RN s’est-il présenté avec un faux nom pour disperser les voix dans les Ardennes ?
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Gladys Costes, étudiante en licence de Science politique à Lille
Source : Publication Facebook, le 30 juin 2024
Ce 30 juin, des électeurs des Ardennes avaient le choix entre deux candidats “Rassemblement national” pour les législatives. Pour certains, c’est la preuve d’une “élection truquée”. Tout porte à croire qu’il s’agit plutôt d’une usurpation d’investiture par un ancien candidat RN qui aurait gardé une dent contre le parti.
“Faites attention #electionlegislative volé” prévient un internaute sur Facebook en partageant une photo de la table de son bureau de vote où se trouvent non pas un, mais bien deux bulletins arborant le sigle du Rassemblement national.
L’internaute estime qu’il y a là un vrai et un faux. Pour lui, l’élection est truquée et que le responsable n’est autre que le président de la République, Emmanuel Macron. Un “magouilleur”, accuse-t-il, si l’on en croit ses hashtags. Pire que ça, on en serait “au même niveau que la Russie”.
Ce post très partagé sur le réseau social (plus de 45 000 vues à ce jour) s’appuie sur une réalité – il y avait bien deux bulletins siglés Rassemblement national dans les bureaux de vote de la première circonscription des Ardennes (Rethel-Charleville) – mais n’explique aucunement le contexte.
À y regarder de plus près, l’affaire ressemble plus à une bisbille entre candidats qu’à un trucage organisé par les plus hautes sphères du pouvoir. Les Surligneurs font un point sur les informations disponibles quelques jours après le scrutin.
Marine Le Pen a dénoncé un “usurpateur”
Le 17 juin 2024, le préfet des Ardennes a, comme prévu, diffusé la liste des candidatures aux élections législatives dans les trois circonscriptions du département. Dans la première, on a retrouvé le candidat officiel du Rassemblement national, Flavien Termet, ainsi qu’un certain Christian Charvet.
Ce dernier est présenté par le ministère de l’Intérieur comme provenant de la nuance “EXD” (“extrême droite”) contrairement à Flavien Termet qui, lui, est présenté comme “RN” (“Rassemblement national”).
Pourtant, surprise, sur les bulletins de vote, imprimés en amont du scrutin, le nom de Christian Charvet s’accompagne du logo du Rassemblement national. Le même que celui qui illustre celui de Flavien Termet !
Pourtant, personne ne semble connaître de Christian Charvet, ni dans la région, ni dans les rangs du Rassemblement national, à en croire les journaux locaux comme L’Ardennais et L’Union. La préfecture et la commission de propagande, elles, ne vérifient que les aspects techniques des bulletins (taille et grammage, conformité du nom avec celui présenté sur la candidature, etc).
Face à cet imbroglio, c’est Marine Le Pen en personne qui décide de prendre le taureau par les cornes le 26 juin, à quatre petits jours du scrutin. Dans une vidéo publiée sur X, elle s’affiche avec le jeune candidat officiel du RN, Flavien Termet et dénonce une “escroquerie” : “Une personne que je connais bien qui s’appelle Hugues Sion se fait passer pour un dénommé Christian Charvet et a déposé une candidature au nom du Rassemblement national alors que bien évidemment il n’a jamais été investi par notre mouvement.”
Coup de tonnerre dans les Ardennes, derrière ce vrai-faux candidat RN se cacherait donc un certain Hugues Sion, selon Marine Le Pen. Vérification faîtes, ce dernier fut candidat Front National aux municipales de Lens (Pas-de-Calais) en 2014, avant d’être exclu de ce même parti trois ans plus tard alors qu’il se présentait comme dissident face au candidat officiel du FN d’alors. Une procédure qu’Hugues Sion conteste encore aujourd’hui. Cet homme a également été candidat Reconquête aux élections législatives de 2022.
Reste à savoir si le candidat Christian Charvet est aussi ce fameux Hugues Sion ? Et surtout, un candidat peut-il se présenter sous un autre nom ? En réalité, c’est la préfecture qui enregistre et vérifie l’identité et l’éligibilité des candidats.
Il est possible d’utiliser un nom d’usage pour se présenter aux élections “s’il n’est pas abusif ou mensonger”, précise Jean-Pierre Camby, professeur à l’université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines et spécialiste du droit électoral.
Parmi les noms d’usage qu’il est possible d’utiliser, on trouve le nom d’époux ou d’épouse ainsi que le nom de l’un ou l’autre de ses parents. Or, d’après les informations collectées par Les Surligneurs, le nom de jeune fille de la mère de Hugues Sion serait Charvet. Une belle coïncidence. Malgré nos efforts, nous n’avons pas réussi à entrer en contact avec lui.
Quelle que soit la véritable identité de ce candidat, c’est l’utilisation du logo du Rassemblement national qui pose un problème. Selon L’Ardennais, le parquet de Charleville-Mézières a ouvert une enquête préliminaire pour “manœuvre frauduleuse” après que le candidat RN, Flavien Termet a déposé une plainte contre Christian Charvet.
Une possible annulation ?
Alerté sur le sujet, le maire de Rethel (dans la première circonscription des Ardennes) avait décidé de joindre aux bulletins de Charvet une petite affiche “Attention ! Usurpation d’identité” dans les bureaux de vote, ce dimanche 30 juin. Problème : c’est interdit.
Les affichettes avaient bien fini par être retirées sur les coups de midi, mais le mal était fait. Pour Jean-Pierre Camby, cette pratique serait suffisante pour que le juge électoral décide de l’annulation du scrutin dans les bureaux de votes concernés.
Reste la question de savoir si l’ensemble du scrutin de cette circonscription pourrait être remis en cause. Car il existe un précédent. Lors d’une élection partielle des sénatoriales à Paris en 2021, un jeune homme s’était présenté sous un faux nom et sous la bannière de La République en Marche alors qu’il n’était nullement investi par le parti présidentiel. Cette utilisation frauduleuse du logo du parti avait conduit le Conseil constitutionnel à invalider cette élection.
Dans notre cas, les candidats à cette élection législative pourraient décider de porter plainte. “Ils pourraient faire valoir que cette utilisation frauduleuse du logo a été susceptible d’influencer les conditions du deuxième tour”, estime Jean-Pierre Camby.
Il faut dire que Christian Charvet a tout de même récupéré 4 257 voix, bien que ce ne soit pas suffisant pour se hisser au second tour. En tout cas, si le candidat RN ne gagne pas ce 7 juillet, cela pourrait lui donner des arguments très sérieux pour demander une annulation, précise Jean-Pierre Camby.
Quand bien même, s’il n’y avait pas eu cette “fausse candidature RN” et que toutes les voix s’étaient reportées sur le “vrai candidat RN”, ce dernier n’aurait pas été élu dès le premier tour, car il n’aurait reçu que 47,49% des votes exprimés avec 22 074 voix (les 17 817 voix pour Termet et les 4 257 voix pour Charvet). Reste qu’il est probable qu’il y ait des suites pénales à cette étonnante affaire.
Suite à la parution de cet article, le mystérieux « Christian Charvet » a contacté les Surligneurs en les renvoyant vers un article de presse de L’Ardennais. Y est présentée la missive qu’a envoyé le fantomatique candidat au journal local pour présenter ses motivations. Pour la personne qui écrit cette lettre, la candidature de Christian Charvet est un « acte de résistance ». Il cible Marine Le Pen et dénonce l’investiture de candidats trop jeunes « sans expérience de la vie, méconnaissant la région dans laquelle ils sont parachutés […] en lieu et place de candidats plus compétentes, plus représentatifs et moins contrôlables« .
[Mise à jour : le 9 juillet 2024]
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