Législatives 2024 : Quels sont les remèdes des candidats pour faciliter l’accès au soin ?
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteurs : Lili Pillot et Etienne Merle, journalistes
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Lili Pillot, journaliste
Dans un univers essoré par la crise du covid, abîmé par des années de restriction budgétaire, le système de santé concentre une masse de propositions politiques. Tour d’horizon des mesures des partis pour améliorer l’accès aux soins et leurs potentielles conséquences sur nos vies quotidienne.
Les déserts médicaux. Plus que toute autre expression, c’est celle-ci qui perce dans le discours médiatique et politique depuis plus de vingt ans. Et pour cause, ce qu’on appelle la désertification médicale est un problème crucial de l’accès aux soins.
Loin d’être une exception française – l’OMS estime qu’il manquera entre 10 et 15 millions de professionnels dans le monde d’ici à 2030 – la pénurie de soignants touche tous les secteurs : le milieu hospitalier comme la médecine de ville. Vingt millions de Français pourraient être sans médecins d’ici trois ans.
Mais toute la population de l’Hexagone n’est pas logée à la même enseigne. Il n’y a qu’à regarder le délai moyen d’attente pour obtenir un rendez-vous avec les médecins pour comprendre les disparités territoriales.
Dans une quinzaine de départements, les délais médians sont au moins deux fois supérieurs à la moyenne nationale, pour au moins trois spécialités. Dans les Deux-Sèvres, il faut plus de trois mois pour avoir un rendez-vous avec un cardiologue. Et dans le Gers, il faut autant de temps pour un rendez-vous avec un ophtalmologue.
Incitations financières, territoriales : que choisir ?
Pour lutter contre ce déséquilibre, une petite musique revient régulièrement : et si l’on obligeait les médecins à s’installer là où on en a le plus besoin ? Le programme du Nouveau Front Populaire prévoit bien de s’y atteler.
À l’image d’une proposition non aboutie du député socialiste Guillaume Garot lors de la précédente législature qui conditionnerait l’installation des médecins dans les zones bien dotées à une autorisation de l’Agence régionale de santé (ARS).
Problème : la liberté d’installation des professionnels de santé est présentée comme “un principe déontologique fondamental” pour les médecins dans le Code de la Sécurité sociale, comme nous l’avons déjà surligné. Il faudrait donc modifier ce Code pour engager ce genre d’action.
Dans le programme du NFP, on retrouve aussi la volonté de conditionner l’ouverture des cliniques privées à la “participation à la permanence des soins et à la garantie d’un reste à charge zéro”.
De son côté, le Rassemblement national s’était prononcé en faveur de la modulation de la rémunération selon le lieu d’installation. Une mesure déjà en place depuis 2005, peaufinée au fil des ans.
Pour autant, la méthode a été jugée assez peu efficace, notamment par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) qui en pointe les limites. Elle considère en effet que les “aspects financiers sont moins importants que d’autres aspects du métier de médecin comme le lieu d’exercice” et qu’“influer sur les choix [des médecins, NDRL] par le biais d’incitations financières nécessiterait des augmentations de revenu très élevées pour compenser des conditions d’exercice considérées comme désavantageuses”.
« Le malaise est très ancien : on manque des médecins partout »
Outre l’installation forcée ou les mécanismes incitatifs pour équilibrer l’offre, il y a la question du nombre de médecins formés. Car entre 1971 et 2019, leur nombre était régulé par un numerus clausus.
Supprimé depuis, la réforme ne devrait produire des effets qu’à partir de 2035. Désormais, on parle de numerus apertus. C’est aux universités en lien avec les agences régionales de santé de déterminer le nombre d’étudiants dans leurs universités.
Mais les amphithéâtres ne sont pas extensibles, tout comme le nombre de stages possibles en milieu hospitalier. Patrice Queneau, membre de l’Académie nationale de médecine, s’engage à prendre toutes les mesures possibles pour ouvrir davantage le nombre d’étudiants en médecine. “Le malaise est très ancien : on manque des médecins partout. En plus, le mode d’exercice a profondément changé. Les jeunes médecins ne veulent plus faire du 70 heures par semaine comme leurs prédécesseurs. Pour un médecin à temps plein qui part à la retraite, il faudra 2,5 médecins qui arrivent pour le remplacer”, explique-t-il aux Surligneurs.
Pour pallier à cette pénurie de médecins sur le long terme, la réponse semble simple : il faut former plus de médecins, approuvent l’ensemble des partis. Reste à savoir combien et comment. Mais de toute façon, il faut plus de dix ans pour former un médecin. Et c’est sur le court terme que le bât blesse et que tous les partis ne sont pas d’accord.
Le Rassemblement national, lui, reprend des méthodes propres à la droite libérale : l’exonération d’impôt sur le revenu de tous les médecins en cumul emploi-retraite. Depuis 2023, les médecins concernés sont déjà exonérés de cotisations à l’assurance vieillesse.
Ce genre de mesures ambitionne d’inciter plus de médecins à conserver un travail une fois à la retraite, mais ils sont déjà nombreux à le faire. Aujourd’hui, presque un quart des médecins à la retraite sont toujours en activité (contre 3,6% des retraités en cumul emploi-retraite dans le reste des professions).
Cependant, tous les partis se retrouvent sur un point : s’engager à réduire le temps “administratif” des médecins pour leur libérer du temps médical. Notamment grâce à la formation d’infirmières en pratique avancée (IPA).
Payer les soins : qui va sortir son portefeuille ?
Le manque de médecins et leur inégale répartition sur le territoire n’est évidemment pas la seule raison pour laquelle on assiste à un renoncement aux soins. Le manque de connaissances du parcours de soins et l’hyperspécialisation des soignants peuvent aussi perdre les patients. Un autre aspect pèse lourdement dans la balance : le coût des soins.
Le reste à charge pour les patients en France est quasiment le plus bas des pays de l’OCDE avec 8,7% de la dépense courante en santé qui revient aux ménages. Mais il reste assez inégale : pour les personnes précaires, le reste à charge est important sur des soins essentiels (séjours hospitaliers, par exemple), selon le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie (HCAAM).
Penchons-nous sur le financement des soins. En France, le modèle social repose sur “la Sécu”, financée par des cotisations sociales, qui prend en charge une grande partie des soins (notamment pour les actes hospitaliers) et sur les complémentaires santé privées (mutuelles et assurances).
“La Sécurité sociale est plus solidaire en ce sens que tout le monde cotise sans distinction par rapport à sa situation, tandis que pour les complémentaires privées le prix ne sera pas le même pour tous”, estime Nathalie Coutinet, économiste. Par exemple, plus vous êtes âgés, donc jugés à risque, plus vous êtes susceptible de débourser une belle somme pour votre complémentaire. Aujourd’hui, la quasi-totalité (3% en 2016) des organismes complémentaires ne proposent plus de tarifs indépendants de l’âge (contre 36% en 2006).
Sur cette question, les visions des partis sont bien différentes. LFI s’est toujours positionnée pour une “Grande Sécu”, autrement dit pour réunir tous les remboursements de soins sous une même entité en faisant l’impasse sur les complémentaires.
En ligne de mire du projet : le double dossier administratif (un pour la Sécu, l’autre pour la complémentaire santé du patient) qui est coûteux, ainsi que les frais de gestion des complémentaires, dont 40 % sont liés aux frais d’acquisition de nouveaux clients, selon la Cour des comptes.
Mais à gauche, il y a dissension : le Parti socialiste estimait en 2022 que les Français étaient attachés au modèle mutualiste et ne souhaitaient pas en sortir. Le Nouveau Front Populaire s’est donc abstenu de se positionner sur le sujet. Le Rassemblement national, lui, s’était opposé à toute forme “d’étatisation” de la Sécurité sociale.
Une des mesures proposées par Gabriel Attal durant cette campagne législative express est le lancement d’une mutuelle publique à un euro par jour. Sauf qu’une complémentaire solidaire santé existe déjà et elle est indexée sur l’âge : si on a moins de 29 ans, le coût est de 8 euros par mois, tandis que pour les plus de 70 ans, la participation maximale demandée est de 30 euros par mois. La proposition d’Attal est au mieux un statu quo, au pire une régression, estime Nicolas Da Silva, économiste de la santé auprès de Libération.
Et la majorité présidentielle poursuit dans une ambition d’accès aux soins via les complémentaires privées. Le “100 % santé”, une des mesures phares d’Emmanuel Macron dans ce domaine, permet d’avoir un reste à charge généralement nul pour acquérir lunettes, prothèses audios et dentaires. Ce financement est majoritairement pris en charge par les complémentaires. Si c’est une grande avancée en termes d’accès aux soins, cela a participé à l’augmentation des frais de complémentaires. “Au fur et à mesure, on a transféré le financement vers les complémentaires pour ne pas augmenter les cotisations sociales, explique Nathalie Coutinet. C’est un choix politique.”
Pour réduire le trou de la Sécu : exclure des bénéficiaires ?
Et ces choix politiques se font généralement avec cette même idée en tête : comment réduire le fameux trou de la Sécu ? Le Rassemblement national, ainsi que les Républicains, lient leur programme sur la santé avec leur thème de prédilection : l’immigration. Ainsi, ils souhaitent transformer l’Aide médicale d’État en Aide d’urgence vitale. En restreignant l’accès au système de soins aux étrangers, le RN ambitionne de faire des économies. Toutefois, les grandeurs d’échelles sont assez faibles.
Est également ciblée la fraude sociale, très souvent surévaluée, comme nous l’avions démontré. Le gouvernement surfe également sur cette vague en proposant dans son programme des législatives une “facture informative” pour que “chaque Français connaisse le coût des soins” et contribuer à “repérer les cas de fraude”.
Autre proposition du Rassemblement national : supprimer les Agences régionales de Santé. Ce serait aux “préfets de coordonner les actions en matière de santé […] afin de départementaliser la santé”. Censée débureaucratiser la santé, la mesure inquiète les acteurs du secteur. France Assos Santé alerte sur une décision qui aurait l’effet inverse en ajoutant de la verticalité. “Supprimer les ARS comme le préconise le RN, pour les remplacer par des préfets sanitaires, c’est transférer le pilotage des politiques régionales de santé du ministère de la santé vers le ministère de l’intérieur”, explique ce réseau d’associations des usagers de santé.
D’une façon générale, les propositions des partis en matière de santé passent plutôt inaperçues dans le débat. D’autant que certaines mesures portant sur d’autres thèmes comme l’alimentation (et donc l’agriculture) relèvent des politiques de santé publique sans forcément qu’on les identifie comme telles. Par exemple, l’ambition de supprimer les polluants éternels du NFP (probablement responsables des cancers de 2 millions de Français) pourrait être considérée comme une mesure de santé.
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