Législatives 2024 : Pour Marine Le Pen, en période de cohabitation, le titre de chef des Armées du Président de la République n’est qu’honorifique
Dernière modification : 5 juillet 2024
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Source : Le Télégramme, 26 juin 2024
Selon la Constitution, c’est le Gouvernement qui décide de la politique du pays, à l’intérieur comme à l’international. Les compétences conservées par le Président, sans être inexistantes, sont pour l’essentiel formelles.
Marine Le Pen, députée réélue du Rassemblement national, a déclaré qu’en cas de cohabitation à l’issue du second tour des élections législatives, “le titre de chef des Armées du Président de la République ne sera qu’honorifique“. Elle avance par là que c’est le Gouvernement et sa majorité à l’Assemblée nationale qui décideront des questions de défense et de relations extérieures. Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la France Insoumise, est sur la même longueur d’ondes, affirmant qu’ “en matière de défense et de relations extérieures, l’Assemblée nationale décidera“. En droit, ils ont raison, mais c’est plus subtil.
Le Gouvernement conduit la politique de la Nation
L’article 20 de la Constitution prévoit que “le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation“. Il faut entendre par là que le Premier ministre et son Gouvernement, sous le contrôle des députés, conduisent la politique intérieure et extérieure de la Nation. Le Président de la République a un rôle symbolique de ratificateur, à l’image du roi britannique. La Constitution confère tout de même un rôle au Président dans la négociation des traités (article 52), soit en suivant sa propre politique, soit en se faisant l’écho du Gouvernement, mais c’est bien le Parlement qui doit adopter l’accord final avant sa ratification (article 53). C’est également le Parlement qui vote le budget, et donc décide de l’envoi de l’aide à l’Ukraine, par exemple.
Sur la question de la défense nationale, l’article 20 prévoit que le Gouvernement “dispose de l’administration et de la force armée” et l’article 21 que le Premier ministre “est responsable de la Défense nationale“.
Cependant, en vertu de l’article 15 de la Constitution, le chef de l’État “préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale“. Une place non négligeable sur les questions stratégiques et qui donne le dernier mot au Président, notamment s’agissant de l’ordre d’activation des forces nucléaires (décret de 1996). Mais si le Président a un rôle prédominant, c’est le Premier ministre et le ministre des Armées qui mettent en œuvre et financent la décision du Président.
De plus, l’article 35 de la Constitution prévoit que c’est le Parlement qui autorisation la déclaration de guerre. Le Gouvernement décide d’envoyer soldats à l’étranger, en informe le Parlement mais a besoin de son autorisation après quatre mois d’intervention.
Un usage jusqu’à présent contraire à la Constitution
Sous la Ve République, y compris lors des trois cohabitations que l’on a connues, c’est le Président qui s’occupe des questions de défense et de relations internationales. Cette pratique ne respecte pourtant pas la lettre de la Constitution, à l’exception de règles ponctuelles donnant une prédominance au Président. Le Président et le Premier ministre se répartissent les attributions : la politique intérieure pour le Gouvernement et la représentation de l’État à l’extérieur pour le Président.
Le Gouvernement devrait reprendre la main sur la défense et les relations extérieures, laissant le Président en arrière-plan, comme le veut le fonctionnement d’un régime parlementaire. Mais le chef de l’État a conservé ses attributions, les gouvernements Chirac, Balladur et Jospin les ayant laissées aux Présidents Mitterrand puis Chirac.
Au vu des déclarations de la formation en tête au lendemain de ces élections législatives, on peut imaginer qu’en cas de majorité absolue le Rassemblement national serait tenté de retenir une interprétation littérale de la Constitution, permettant au Premier ministre de conduire la politique extérieure de la France sur des sujets comme la guerre en Ukraine ou celle qui oppose Israël et le Hamas. Il est probable, toutefois, que si Jordan Bardella devient Premier ministre, il résistera à la tentation. D’une part, pour ne pas inquiéter un électorat qui sera invité à voter de nouveau pour le Rassemblement national aux prochaines élections présidentielles. D’autre part, afin de ne pas introduire un nouveau précédent dans l’interprétation de la Constitution, qui compliquerait la tâche de Marine Le Pen si, une fois élue présidente, elle souhaitait revenir à une interprétation présidentialiste de la maîtrise des relations extérieures.
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