Législatives 2024 : démêler le vrai du faux sur la santé, éternelle absente des élections
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, étudiante à l’École publique de journalisme de Tours
Délais d’attentes qui s’accentuent, urgences et lits qui se ferment les uns après les autres, une médecine de ville qui peine à recevoir le surplus de patients qui sortent des hôpitaux bondés : l’accès aux soins est toujours en peine. Les Surligneurs font le point sur les chiffres importants.
Entre le manque de lits de réanimation, les soignants applaudis, mais à bout de forces, et le manque de médicaments produits en Europe, c’est peu dire que la santé a été sous le feu des projecteurs pendant la crise du Covid. À l’aune des élections législatives expresses, la santé semble pourtant se tenir loin des débats politiques et médiatiques. Et ce, malgré le fait que l’accès aux soins fait partie des préoccupations majeures des Français.e.s.
Approximations, erreurs ou mensonges circulent sur les chiffres autour de l’accès aux soins. L’occasion pour les Surligneurs de faire un point.
- Oui, 20% des lits d’hospitalisation complète ont été fermés en 22 ans
C’est un serpent de mer, et pas des moindres : avons-nous réellement fermé des lits en hôpital ? La réponse est sans équivoque : oui. Entre 2000 et 2022, la France a perdu 113 000 lits d’hospitalisation complète (dont 90 000 dans le public) pour arriver à un total de 374 000 lits en 2022. La question reste à savoir pourquoi.
Depuis le début des années 2000, l’hôpital a changé de mode de financement. “C’est l’avènement de l’hôpital-entreprise”, juge André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie à la Pitié Salpêtrière. Les hôpitaux sont financés en majorité à l’acte (la tarification à l’acte – la T2A – fait en sorte que chaque acte médical soit facturé selon un tarif prédéterminé) et leurs dépenses de santé sont limitées par un objectif national (la loi de financement de la Sécurité sociale a prévu un ONDAM à 254,7 milliards d’euros pour l’année 2024). Il faut donc diminuer les dépenses, et augmenter les recettes. Une des solutions trouvées : engager un virage ambulatoire.
Si vous n’êtes pas un professionnel de santé, il y a fort à parier que cette expression barbare ne vous dise rien. C’est tout simplement l’idée de réaliser des séjours plus courts, donc moins coûteux pour l’hôpital. On se fait hospitaliser de jour et on rentre chez soi le soir. Entre 2013 et 2022, on passe de 67 600 lits en ambulatoire à 85 000, soit 17 400 en plus.
De l’aveu des professionnels de santé, ces ouvertures de lits en ambulatoire ne compensent pas les fermetures en hospitalisation complète, d’autant que le virage ambulatoire doit être accompagné par un aval efficace en ville. C’est-à-dire des médecins, infirmières, kinésithérapeutes, pharmaciens en mesure de prendre en charge un nouvel afflux de patients. Or, l’offre de soins de ville est largement incomplète, minée par des déserts médicaux.
Si la tendance d’une diminution du nombre de lits à l’hôpital est globale, elle n’est pas uniforme. Certains services, certains territoires ont été plus touchés que d’autres. Afin de rationaliser les coûts (et mieux se conformer aux normes de sécurité), de plus en plus de grosses structures hospitalières absorbent les plus petites. Par exemple, le nombre de maternités a largement diminué. “Il y a des luttes locales contre la fermeture des lits, mais nous n’avons pas de mobilisation globale, c’est donc moins visible”, assure Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers.
Certaines fermetures de lits et de services sont parfois temporaires. Il n’est pas rare de voir des services d’urgence fermer pour quelques jours si, d’aventure, il manquait un médecin indispensable au respect des normes de sécurité sanitaire. Cependant, seuls 20 % des lits fermés résulteraient bien d’un manque de personnel. Le reste des lits fermés serait plutôt dû aux décisions politiques.
- Non, la pénurie de personnel n’est pas liée aux soignants non vaccinés exclus et dégoûtés mais aux conditions de travail
L’obligation vaccinale contre le Covid-19 pour les professionnels de santé est suspendue depuis mai 2023, mais l’exclusion des soignants non-vaccinés a été un cheval de bataille pour le Rassemblement national et la France Insoumise. Aujourd’hui, s’il y a toujours une pénurie de soignants, ce n’est pas dû à une suspension ou une désertion liée à la vaccination, mais aux conditions de travail, explique Thierry Amouroux du SNPI. Selon lui, 60 000 postes d’infirmières en hôpital public et privé sont aujourd’hui non pourvus en France (contre 7 500 en juin 2021, explique-t-il).
Même si le salaire d’une infirmière est toujours en dessous de la moyenne des pays européens, le tableau n’est pas complètement noir. Avec le Ségur de la Santé, le personnel soignant a connu une des revalorisations salariales les plus importantes de ces dernières décennies.
“La revalorisation a permis de fidéliser ceux qui sont restés, mais ce salaire n’est pas suffisant pour attirer de nouveau, explique Gilles Gadier, de Force Ouvrière Santé, pour qui le problème demeure les conditions de travail. Quand on ne budgétise pas un ratio suffisant de soignants par rapport aux patients, le travail n’a plus le même sens.” Une infirmière sur deux quittera son travail moins de dix ans après l’avoir débuté.
C’est un cercle vicieux : moins il y a de soignants par patients, plus leur charge de travail est élevée, moins ils souhaitent rester dans ces métiers, plus la charge pèse sur les soignants restants.
D’autant que cette revalorisation salariale fait peser un poids important sur l’hôpital dont la situation financière est déjà bien compliquée.
L’endettement financier est de l’ordre de 30 milliards d’euros en 2019 sur l’ensemble des hôpitaux publics. Cette dette qui est très hétérogène — tous les hôpitaux ne sont pas dans le rouge (un tiers ont des finances “satisfaisantes”) — s’est creusée après des plans de financement successifs (les plans de 2007 et 2012).
Problème : cette situation financière s’est, par la suite, soldée par un sous-investissement progressif dans les bâtiments et les structures, explique la Cour des comptes dans un rapport de 2023.
Ceci dit, la crise du Covid, si elle a éreinté les services hospitaliers, a plutôt été positive sur les finances des hôpitaux, grâce à des aides exceptionnelles. “Les surcoûts liés au traitement des patients atteints par l’épidémie de covid 19 ont été pris en charge par l’assurance maladie”, écrivent les sages de la rue Cambon. Pas étonnant, car la Sécurité sociale finance la quasi-totalité des dépenses en soins hospitaliers (92,9% en 2022). Autrement dit : mauvaise nouvelle pour la Sécu.
- Le trou de la Sécu est impressionnant mais la Sécu est excédentaire
S’il y a une expression qui a résisté au temps, c’est bien le “trou de la Sécu”. La Sécu, c’est un ensemble de caisses qui financent notre système social. On y trouve, en vrac : les Allocations familiales, l’Assurance maladie, les retraites et la branche autonomie (vieillesse et handicap), …
Incroyable mais vrai, si l’on s’en tient aux chiffres bruts, le solde global des administrations de la Sécurité sociale a été excédentaire de 0,7 points du PIB français en 2023. Cela veut-il dire que le trou de la Sécu n’est plus ? Pas totalement.
En réalité, toutes les branches ne sont pas au même niveau. C’est la branche “maladie” qui finit avec le plus haut déficit, soit 9,5 milliards en 2023. Deux branches sont excédentaires — accidents du travail (+1,9 milliards d’euros en 2023) et famille (+1 milliard) — auxquelles il faut ajouter le fonds de solidarité vieillesse (0,8 milliard). Ce qui fait pencher la balance de l’autre côté, c’est le solde positif de la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale).
Attention, étape technique, parlons ici du mode de financement de la Sécu. De 1945 à 1991, le financement provient presque exclusivement des cotisations sociales, celles que l’on verse en tant que salarié ou employeur par exemple. Depuis la création de la CSG en 1991, puis de la Cades en 1996, la part de ces cotisations a tendance à baisser, car cette caisse est financée par des impôts (notamment la Contribution Sociale Généralisée et la Contribution pour le Remboursement de la Dette Sociale, pour l’essentiel). Pensée pour éponger la dette sociale de façon éphémère, la durée de vie de la Cades n’a de cesse d’être prolongée (elle devait initialement cesser son activité en 2009).
“C’est un choix politique, estime Nicolas Da Silva, économiste à la Sorbonne Paris Nord. Avec la création de la Cades, on a choisi de fiscaliser le financement de la Sécu plutôt que d’augmenter les cotisations sociales.” Pour l’auteur de « La Bataille de la Sécu : une histoire du système de santé », la Cades, bien qu’excédentaire, est un “gouffre financier”. “En moyenne, les taux d’intérêts de la Cades sont systématiquement supérieurs à ceux de l’État.” Autrement dit, la séparation du financement de la dette de l’État de celui de la dette de la Sécu a eu pour conséquence d’augmenter le coût de cette dernière. À noter que cette séparation du budget de l’État et du budget de la Sécu a été rendue obligatoire par la Constitution (article 34).
S’il n’est pas toujours aisé de s’y retrouver sur les chiffres sur l’accès aux soins et sur un financement des soins de santé (voir article deux), la désinformation sur ces sujets s’immisce souvent dans ce genre de détail comptable. Bien qu’il ne soit pas le seul facteur (éloignement des services, manque de mobilité, méconnaissance), la dégradation des services de santé amène parfois les individus à renoncer à un acte de soin. Selon un sondage Ipsos, 63 % des Français ont renoncé à un acte de soins au moins ces cinq dernières années, notamment en raison des délais pour obtenir un rendez-vous (53 %) ou pour des difficultés financières (42 %).
Cet éloignement du monde des professionnels de santé peut aussi amener des patients à s’autodiagnostiquer et s’automédicamenter. L’augmentation de la “fakemed” sur les réseaux sociaux pose de réels problèmes de santé publique in fine.
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