Lecture : « Réveiller la démocratie », mode d’emploi ?
Dernière modification : 17 octobre 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani
Ouvrage à mettre entre toutes les mains, près de soixante-dix contributeurs d’horizons divers lancent les pistes parfois inattendues, parfois peu étayées, souvent de bon sens, d’un grand chantier incontestablement urgent : ré-enchanter notre démocratie et la réconcilier avec le citoyen.
Les Surligneurs vous livrent une recension de l’ouvrage Réveiller la démocratie, par R. Dosière et G. Giraud (dir.), Les éditions de l’Atelier, 2022.
On aurait pu titrer cet ouvrage « Secouer la démocratie « tant certaines idées sont rafraîchissantes et tendent à réconcilier nos citoyens avec la République. Le désintérêt des Français pour les urnes relève, il faut bien le dire, du caprice d’enfant gâté quand dans d’autres pays on risque la prison en prononçant le mot « guerre », et quand certains États membres de l’Union européenne virent à la « démocrature ». Il ne s’agit plus dans ces pays de « Réveiller la démocratie », mais plutôt de la ressusciter, ce qui évidemment ne relève pas du même exercice.
Il n’en demeure pas moins que même les régimes les plus démocratiques s’usent. Près de soixante-dix contributeurs, juristes mais aussi économistes, politistes, philosophes, écrivains, acteurs associatifs, proposent en quelques pages des remèdes pour notre démocratie malade de son demos, sous la direction de l’ancien député René Dosière et de l’économiste Gaël Giraud. Nous ne citerons pas les contributeurs car l’équité serait impossible. Très accessible, l’ouvrage interroge tous les acteurs de notre démocratie.
L’exécutif en prend pour son grade : « Présider autrement » écrit l’un, prônant le « slow politique » en lieu et place du « show politique « , tandis que d’autres regrettent que les élections législatives suivent celles présidentielles, ou imaginent l’élection d’une « équipe » gouvernementale et pas d’un homme providentiel. Pourquoi le gouvernement est-il seul, avec la présidence, à ne pas se doter d’un déontologue ?
Notre Parlement n’est pas en reste : pas assez de pouvoirs notamment à l’égard de l’exécutif (à bas le parlementarisme rationalisé), insuffisamment représentatif (vive la proportionnelle), absence d’intérêt pour l’application effective de la loi une fois votée, le travail des députés et sénateurs mal évalué et valorisé, souvent stigmatisé, trop peu de moyens financiers et humains pour approfondir les dossiers et peser face à l’exécutif : un collègue propose une enveloppe pour que les parlementaires s’entourent d’équipes d’enseignants-chercheurs au lieu de faire appel aux cabinets de conseils ou encore à leurs conjoints(es) ou enfant(s) (c’est nous qui ajoutons).
L’autorité judiciaire française cultive de son côté le secret sur la manière dont les juges délibèrent, au contraire de grandes juridictions étrangères ou internationales, qui publient les « opinions dissidentes » en leur sein. Quant au Conseil constitutionnel, il y a beaucoup à redire sur sa propre déontologie, tant il est « politisé » de par sa composition.
À l’égard des élus, l’ouvrage n’est pas non plus tendre : il faut les « déprofessionnaliser », mieux les former, mieux contrôler leurs rémunérations, supprimer les « zones d’ombre concernant le train de vie » des élus locaux.
La démocratie, ce sont aussi des méthodes. Selon un des contributeurs, notre système électoral n’est toujours pas passé au XXIe siècle, tant il lui manque une instance de contrôle indépendante comme il en existe dans bien d’autres démocraties modernes, et tant il a conservé des modes de scrutin laissant trop peu de place aux courants minoritaires. De même, la communication électorale doit se moderniser et mieux exploiter les réseaux sociaux. Autre méthode prônée bien sûr, la démocratie participative, avec diverses solutions pour « impliquer très largement la population » et vaincre le « sentiment de ne plus avoir d’impact ». La Convention citoyenne a déçu par ses résultats, notamment en raison d’un « travail de sape » du monde économique : il convient donc de parfaire la méthode, notamment par une plus grande transparence des travaux, aller vers une « assemblée citoyenne » remplaçant l’antique Sénat et l’inutile Conseil économique, social et environnemental.
Dans la même veine, il est proposé de replacer le citoyen au-dessus des intérêts économiques, « affronter l’oligarchie économique », d’établir une « démocratie économique ». Sur le plan économique, environnemental et sociétal, bien des contributeurs regrettent la « capture de l’intérêt général par des groupes d’intérêts privés », autrement dit la gestion des services publics par des entreprises à but lucratif, et l’emprise du secteur privé sur la décision publique, notamment à travers le pantouflage et les allers-retours de certains agents publics entre administration et secteur privé. Un réveil passe notamment par une réforme profonde des structures dirigeantes des entreprises avec un « bicaméralisme » patronat/salariat ou toute autre forme d’association effective des salariés à la stratégie entrepreneuriale, et aussi en arrivant à une véritable égalité femme-homme.
Il faudrait également renouer avec la planification économique et inventer une « planification écologique », et donc penser les politiques sur le long terme (on retrouve la « slow politique »). Cela implique une « éthique des affaires », en poussant plus loin encore les outils juridiques existants tels que la protection du lanceur d’alerte ou l’entreprise de mission, et en imaginant d’autres modes de management, ce qui suppose aussi de revoir le dialogue patronat/syndicats. Et comme ces deux derniers ne sont pas toujours soucieux de l’environnement, instaurons aussi une personne « déléguée à la protection de l’environnement » dans chaque entreprise, à l’image du DPO (délégué à la protection des données). En somme, restaurons l’idée de « communs « , ces biens à usage partagé, qu’il faudrait protéger en les inscrivant à la Constitution même.
C’est aussi le citoyen qu’il faut impliquer dans le processus démocratique, en lui conférant un « droit d’amendement citoyen » sur les textes en discussion, en lui permettant de voter à distance, et aussi en l’écoutant : il ne suffit pas d’ouvrir des plateformes gouvernementales de consultation citoyenne, dont nul ne sait qui les lit, sauf à créer une seule plateforme centralisant l’ensemble des projets. Vient ensuite le référendum d’initiative citoyenne dont il faut « cesser d’avoir peur », que ce soit au niveau national ou local, avec un référendum local qui pourrait être étendu au niveau intercommunal. Reste qu’un citoyen, cela se forme dès l’école : « encapacitons la jeunesse ! », s’écrie une contributrice. Cela se forme ensuite tout au long de la vie, tant les enjeux évoluent, notamment en matière environnementale : ressortons « l’éducation populaire » des placards, et expliquons les « choix technologiques favorisant le bien commun ». Allons jusqu’à créer un « festival national de la démocratie » (après tout, il existe bien une fête de la musique et même une nuit du droit). Le citoyen agit aussi à travers les associations agissant pour une « démocratie sociale et solidaire », une « altercroissance ». Il est également proposé de récupérer une maîtrise démocratique de notre monnaie et du crédit (donc sortir de l’euro, mais sans dire pourquoi faire).
La démocratie est aussi affaire locale, avec l’écoute du citoyen par de nouveaux procédés de concertation. Notre décentralisation massive depuis 1982 serait « pervertie » car menée au pas de charge, oubliant l’objectif initial de création d’une démocratie de proximité, au profit d’une course aux compétences et d’un millefeuille institutionnel complexe « boudé » par les Français. Dans la même veine, un des auteurs entend démocratiser et mettre en avant les intercommunalités, dont les responsables pourraient, collectivement, remplacer le conseil départemental.
Et au beau milieu de l’ouvrage, une opinion singulière : réformer à tout va au risque d’encore complexifier et de rebuter définitivement le citoyen, ou mieux employer les outils existants ? Il est vrai que l’ouvrage nous offre la vision d’un véritable concours Lépine, avec des propositions qui semblent parfois utopiques ou au minimum trop peu étayées. Mais au moins les contributeurs tentent, osent, et c’est le mérite de l’ouvrage : lancer les pistes d’un chantier aussi sérieux qu’urgent, avec des propositions parfois redondantes ou qui d’autres fois se contredisent. Un ouvrage démocratique en somme, même si l’on aurait aimé y trouver aussi l’opinion du grand méchant patronat.
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