Le trilogue, un compromis entre efficacité et responsabilité ?
Dernière modification : 20 juin 2022
Autrice : Noémie Chardon, sous la direction de Tania Racho
Du 23 au 26 mai 2019, les citoyens de 28 États membres ont voté pour élire leurs représentants au sein du Parlement européen, acteurs des futures législations de l’Union européenne. Le défi, comme pour les générations précédentes, sera de s’entendre avec 27 autres États membres, au sein du Parlement européen mais également avec les membres de la Commission européenne et du Conseil (réunissant les ministres), pour mettre en place des règles communes et répondre rapidement aux besoins des citoyens. Or, légiférer avec autant de monde autour de la table n’est pas toujours chose facile. C’est là qu’entre en jeu le processus du trilogue pour tenter de pallier le problème d’efficacité de la procédure législative de l’Union.
Le trilogue est une réunion informelle entre les trois institutions législatives de l’Union européenne qui se tient pendant la procédure législative ordinaire (la procédure législative la plus commune pour l’UE). Elle permet aux négociateurs issus de ces différentes institutions (députés, membres de la Commission et du Conseil) de se mettre d’accord sur un compromis qui est validé par chaque institution chacune selon sa propre procédure. Ce compromis est ensuite entériné par un vote en séance plénière pour le Parlement européen et voté par le collège des ministres pour le Conseil de l’Union européenne. Ces réunions ne se tiennent donc qu’en cas de désaccord entre la Commission, le Conseil et le Parlement européens, ce qui est souvent le cas.
Mais cette pratique est largement remise en cause, notamment en raison de son absence de transparence : les discussions se tenant au cours de cette réunion ne sont pas rendues publiques, ce qui est perçu comme anti-démocratique.
L’évolution du rôle du Parlement européen qui a imposé l’instauration d’un trilogue interinstitutionnel
Le trilogue semble être une conséquence du développement des pouvoirs du Parlement européen depuis le traité de Maastricht (entré en vigueur en 1993) : celui-ci introduit l’idée de la « codécision » dans le processus d’élaboration des textes européens, en rendant l’accord du Parlement obligatoire pour l’adoption de ces textes. Le Parlement a ainsi obtenu la mise en place d’un dialogue structuré avec la Commission et le Conseil, ce qui a donné la réunion où se déroule ce trilogue actuellement.
Si le Conseil, habitué avant cela à avoir toujours le dernier mot, a eu du mal à s’adapter : le Parlement, fort d’une légitimité grandissante, a entendu faire valoir ses vues, ce qui a conduit à généraliser la pratique des réunions informelles destinées à désamorcer les conflits entre les trois institutions. Sans quoi, le processus législatif restait bloqué. Dans les années 1990, ce trilogue devient un élément déterminant de la procédure législative. Les co-législateurs (Commission, Conseil, Parlement) en font peu à peu une habitude car le trilogue apporte une pacification des relations en matière législative et répond à l’élargissement important de 2004 (lorsque l’UE est passée de 15 à 25 États membres). Il a ainsi permis de refondre rapidement le droit européen pour l’adapter à cet élargissement.
Faut-il mettre fin à cette méthode peu transparente et contournant d’une certaine manière les députés européens ? En pratique, chaque institution voit ses propres intérêts dans la pratique du trilogue : pour le Conseil , l’accélération de la procédure législative permise par le trilogue permet à l’État membre président de l’Union européenne durant six mois d’afficher un bilan positif à la fin de son mandat. Il est vrai que ce trilogue a permis de réduire le temps d’adoption des textes de 17 à 12 mois environ. Du côté de la Commission, plus un accord est conclu rapidement, plus il est proche du texte initial qu’elle a proposé ; de plus, le trilogue lui permet de rester impliquée dans la procédure législative, sans quoi elle serait totalement dessaisie une fois qu’elle a émis une proposition de texte. Enfin, pour le Parlement, l’intérêt est d’inciter la Commission et le Conseil à faire des concessions. Mais l’avantage se présente surtout pour les députés les plus influents : généralement les hiérarques du Parlement dont l’ancienneté leur permet d’être choisis pour participer aux trilogues.
Cependant, vingt ans après l’émergence des trilogues, alors que des réunions informelles se tiennent presque chaque jour au Parlement européen et au Conseil de l’UE, la question de la légitimité de ce dispositif a débordé jusque dans le débat public.
Le trilogue, un processus non règlementé qui remet en cause la législation et les principes démocratiques de l’Union
Puisque l’objectif des trilogues est d’arriver à un accord rapide entre les institutions, on peut d’abord se questionner sur la qualité des normes adoptées. Celle-ci n’est-elle pas remise en cause par un processus trop rapide qui s’intéresse avant tout à la nécessité de légiférer (et donc à la quantité de texte plutôt qu’à leur qualité voire leur utilité) ? À cette première question importante s’ajoute celle de la confiance interinstitutionnelle entre la Commission, le Conseil et le Parlement. Tous ne sont pas égaux face au trilogue : chaque député y participant est doté d’un mandat public des autres députés, ce qui n’est le cas ni des négociateurs de la Commission, ni de ceux du Conseil, qui sont donc avantagés.
Cela mène donc à la remise en cause la plus pertinente probablement du trilogue : le manque de transparence par construction : des réunions informelles où ce qui se dit ne peut être complètement contrôlé, donnant une perception de carence démocratique.
C’est pourquoi une procédure de trilogue s’est mise en place au fil des années, majoritairement dans des actes interinstitutionnels (la Déclaration commune de 1999, Mieux légiférer et la Déclaration commune de 2007) décidés entre les institutions européennes pour établir un certain cheminement à respecter pour le trilogue. En conclusion de son enquête ouverte en 2015 sur le trilogue, la médiatrice européenne se félicitait ainsi d’une amélioration du système du trilogue dont les résultats sont aujourd’hui écrits, présentés et approuvés de manière officielle en réunion plénière dans les institutions.
De plus, la décision du Tribunal de l’Union de mars 2018 a donné raison à un fonctionnaire européen qui avait introduit un recours juridictionnel contre le Parlement européen qui refusait de communiquer des documents conclusifs de réunions en trilogue. Le juge européen a conclu dans cette affaire que les principes de publicité et de transparence sont inhérents à toutes les procédures législatives de l’Union, y compris donc au trilogue alors même qu’aucun texte ne le prévoit. Le Tribunal a ainsi ouvert une brèche en autorisant la consultation de certains documents de négociation utilisés pour les trilogues. Cette affaire apparait comme un point d’orgue dans l’avancée de la démocratisation des trilogues, et donc de la procédure même d’élaboration des lois européennes.
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