Le très obscur et rémunérateur emploi de Marion Maréchal à la veille des européennes 2024
Dernière modification : 19 juin 2025
Auteur : Pierre Januel (Mediacités)
Cet article a été publié le 10 juin 2025 sur le site de notre partenaire Mediacités et édité pour les lecteurs des Surligneurs.
Selon les informations de Mediacités, l’ancienne tête de liste du parti Reconquête! a opportunément bénéficié d’un poste de « directrice développement » de la part d’un prestataire de sa campagne. Au cœur de ce montage, le député RN de la Drôme Thibaut Monnier.
Députée européenne depuis l’an dernier, Marion Maréchal affiche déjà, à 35 ans, un copieux curriculum vitae : ancienne députée du Vaucluse, ancienne conseillère régionale de Provence‐Alpes‐Côte d’Azur, fondatrice et ex‐directrice générale de l’Issep, l’école d’extrême droite qu’elle a créée à Lyon, ex‐vice‐présidente du parti Reconquête!… Mais une très discrète ligne de son CV, que Mediacités révèle aujourd’hui, pose particulièrement question. Elle interroge sur la façon dont la petite‐fille de Jean‐Marie Le Pen a préparé et financé sa campagne aux élections européennes de 2024, et sur les liens d’affaires qu’elle entretient avec Thibaut Monnier, l’un de ses lieutenants, aujourd’hui député de la Drôme apparenté au groupe du Rassemblement national (RN).
La semaine dernière, Mediacités dévoilait les « bonnes affaires des amis lyonnais » de Marion Maréchal, lors du scrutin européen. Des proches liés à l’Issep qui ont multiplié les factures lors de la campagne pour diverses prestations (analyses politiques, gestion des réseaux sociaux, notes en prévision d’interventions médiatiques). Un peu trop parfois… Comme nous vous l’avons raconté, la commission des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a refusé la prise en charge par l’État de certaines factures de L2H et d’IFF, deux sociétés contrôlées par Thibaut Monnier.
Via L2H Monnier Conseil, celui‐ci avait facturé à la candidate de la liste Reconquête ! des prestations de coordination de la campagne, pour 100 euros de l’heure. Avec 756 heures au compteur en six mois, la note s’élevait à 90 000 euros toutes taxes comprises. De quoi faire tiquer la CNCCFP qui s’est étonnée du cumul de ce quasi‐temps plein avec le poste de directeur général de l’Issep, par le même Thibaut Monnier. La commission a donc divisé par deux la facture retranchant 45 360 euros qui seront laissés à la charge du parti Reconquête ! plutôt qu’à celle du contribuable.
Mais ce qui a échappé au gendarme des financements politiques, c’est que L2H Monnier Conseil n’a pas été qu’un prestataire important de Marion Maréchal. Cette société a également été son employeuse.
6 636 euros brut par mois
C’est ce que Mediacités a découvert en épluchant la déclaration d’intérêts privés déposée, mi‐septembre dernier, par l’eurodéputée d’extrême droite. L’élue y indique que la société « L2H Conseil » l’a recrutée comme « directice (sic) développement » pour 6 636 euros brut par mois de janvier à août 2023. Soit un montant brut de 53 000 euros, juste avant la période officielle de la campagne européenne qui débutait le 1er décembre 2023.
Si Marion Maréchal a pris soin de gommer le nom de « Monnier » dans sa déclaration auprès des instances du Parlement européen, il s’agit bien de la même structure. « L2H Monnier Conseil » est la seule société du registre des entreprises qui contient les termes « L2H » et « Conseil ».
En quoi consistait cet emploi généreux (pour comparaison, les indemnités mensuelles d’un député français s’élèvent à 7 637 euros bruts) ? Qu’a développé Marion Maréchal en échange d’une rémunération mensuelle de 6 636 euros ? Pourquoi cette société, qui facture essentiellement les prestations individuelles de Thibaut Monnier et ne possède pas de site Internet, avait‐elle besoin d’une « directrice développement » ? Contactés par Mediacités à plusieurs reprises depuis ce vendredi 6 juin, ni Marion Maréchal ni Thibaut Monnier n’ont répondu à nos sollicitations.
Dommage. Nous aurions aimé les entendre sur cette situation qui peut se résumer ainsi : de janvier à août 2023, la société L2H a rémunéré Marion Maréchal pour 53 000 euros, puis, de décembre 2023 à juin 2024, la même Marion Maréchal, en tant que candidate à une élection, a commandé à la même société L2H une prestation de 90 000 euros, en espérant son remboursement en intégralité par l’État.
« Sa faculté à comprendre l’environnement et les attentes de la candidate »
Le recrutement de la future candidate de Reconquête ! est d’autant plus curieux que l’horizon de la société était alors déjà fixé. À partir de décembre 2023, L2H s’est concentré sur la campagne des européennes de son ancienne « directrice développement ». Interrogée sur le recours à L2H par la CNCCFP lors de l’instruction des comptes, Marion Maréchal indique ainsi que « Monsieur Thibaut Monnier par sa société a été choisi de par son expérience et sa faculté à comprendre l’environnement et les attentes de la candidate et pour superviser son cabinet et la coordination générale de cette campagne ».
Si L2H a d’abord été créée par Thibaut Monnier seul, mi‐2022, elle a enregistré des apports de deux autres des sociétés du député de la Drôme : d’abord 140 000 euros d’Audace Immobilier, dont Thibaut Monnier est l’actionnaire unique, puis 60 000 euros d’IFF, dont il possède 45 % des parts, aussi prestataire de la campagne de Marion Maréchal (IFF a facturé des prestations d’étude de l’opinion et de gestion des réseaux sociaux). Le reste du capital se partage entre Amaury Navarranne, élu RN toulonnais, et Sylvain Roussillon, qui s’est longtemps occupé de former les élus maréchalistes via le Cefel, un organisme proche de l’Issep. Ce dernier, après avoir été collaborateur de conseillers régionaux RN, est d’ailleurs devenu président de l’école lyonnaise de Marion Maréchal.
IFF, L2H, Issep, Cefel… La galaxie qui s’est mise en place autour de la candidature Maréchal et de son chef d’orchestre Thibaut Monnier est restée obscure… y compris pour Reconquête!. Dans le parti d’Eric Zemmour, les récriminations restent nombreuses suite à cette campagne européenne qui s’est très mal passée et terminée : après avoir échoué à 5,47 % des voix, Marion Maréchal a quitté le mouvement pour tenter un retour en grâce au Rassemblement national de sa tante Marine Le Pen. Entre l’entourage de l’eurodéputée et les proches d’Eric Zemmour et de Sarah Knafo (conseillère et compagne de l’essayiste d’extrême droite), l’ambiance était électrique tout au long de la campagne.
Un mystérieux sauveur
L’attelage s’est séparé sur un désastre financier. Si la campagne de Marion Maréchal a été couverte par un important prêt du parti Reconquête ! de 4,4 millions d’euros (soit le montant remboursé par l’État), les dépenses ont dérapé. À l’approche du scrutin, chaque camp a tiré sur la corde : Marion Maréchal avec les prestations de ses proches, Eric Zemmour avec des dépenses d’hôtel jugées somptuaires, comme l’a révélé Le Canard enchaîné.
Résultat, un trou de 800 000 euros à l’issue de la campagne des européennes. Or, les comptes doivent impérativement être présentés à l’équilibre à la fin. Reconquête ! refusant de remettre la main à la poche pour sauver son ex‐candidate, Marion Maréchal a dû faire appel à un autre emprunteur. Car aux européennes, ce sont les têtes de listes qui sont responsables de leur campagne sur leurs fonds propres.
Le 26 juillet 2024, au moment de la clôture des comptes, un mystérieux anonyme a ainsi consenti un prêt de 800 000 euros, en passant par le Mouvement conservateur (devenu depuis Identité Libertés), le micro‐parti de Marion Maréchal. Le 1er août suivant, via un prêt miroir, cette formation a versé ce montant à la campagne, afin d’éponger le déficit.
« Inconnu du grand public »
Chez Reconquête!, on assure ignorer l’identité du généreux prêteur. À L’Obs, Marion Maréchal a affirmé qu’il s’agissait d’un « particulier français », par ailleurs « inconnu du grand public ». Vraiment ? D’après les échanges entre la députée européenne et la CNCCFP, anonymisés par la commission, le sauveur semble plutôt être étranger : le mot « française » après les mots « de nationalité » se révèle bien plus long que le rectangle noir du passage en question, comme le montre l’extrait que Mediacités reproduit ci‐dessous.

Aujourd’hui, Marion Maréchal se retrouve dans l’obligation de rembourser ces 800 000 euros. Or, Identité Libertés dispose de fonds limités. Présidé par la députée européenne, le microparti compte comme vice‐présidents Laurence Trochu, aussi eurodéputée, et… Thibaut Monnier. Comme elle ne compte que trois élus à l’Assemblée nationale, la formation politique doit passer par le RN pour espérer obtenir un financement public, de l’ordre de 100 000 euros par an.
Pas de quoi permettre à court terme de payer les dettes. À moins, comme d’autres avant elle (souvenez‐vous du « Sarkothon », lancé après l’invalidation des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy), que l’ancienne « directrice développement » de L2H Marion Maréchal ne fasse appel à la générosité publique…