Le « trafic de bébés » en Ukraine : une fake news régulièrement diffusée depuis 2022
Autrice : Lili Pillot, journaliste
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : Compte Facebook, 3 mars 2024
Plusieurs posts Facebook datés de mars 2024 affirment qu’un « trafic de bébés » est en cours en Ukraine. L’origine de la fausse information provient d’une vidéo de 2022, publiée par le Syndicat de la Famille, ancienne Manif Pour Tous. Le mouvement accuse en particulier une agence de GPA en Ukraine, où la pratique est légale même si très controversée.
« Élevage cruel de petits êtres innocents », « Trafic de bébés découvert en #Ukraine », « Les horreurs derrière la GPA de l’Agence BiotexCom » … Ces publications Facebook, datées de mars 2024, avertissent d’un prétendu « trafic de bébés » en Ukraine. Cette affirmation est fausse et constitue une déformation de la situation actuelle concernant la gestation pour autrui (GPA) en Ukraine, légale même si controversée, y compris pour les étrangers.
Tous ces posts Facebook se basent sur une seule et même vidéo publiée sur le compte Youtube du Syndicat de la Famille, ancienne Manif Pour Tous, le 10 mars 2022. Sur trois minutes, une femme y dénonce un « trafic de petits êtres humains » organisé, selon elle, par la société Biotexcom, principal acteur privé du secteur de la GPA en Ukraine. Pour le Syndicat de la Famille, ces enfants seraient « arrachés à leur mère porteuse […] et mis en batterie les uns à côté des autres […] en attendant de pouvoir être livrés à leur commanditaire ».
Pour appuyer ses propos, le Syndicat de la Famille se base sur des images publiées le 9 mars 2022 par l’agence de GPA en question, dans le contexte de la guerre en Ukraine. On y voit des hommes armés se rendre en voiture dans différents bâtiments qui, grâce à une recherche Google Images inversées, se trouvent être plusieurs maternités dans la ville de Kiev. Les bébés sont ensuite emmenés vers ce qui semble être des abris anti-bombes.
La GPA, une pratique légale en Ukraine
Trois semaines plus tard, le 2 avril 2022, Biotexcom indique dans une légende vidéo que les 52 enfants nés de GPA au cours du premier mois de guerre dans le cadre de leur programme ont été mis en sécurité. Un moyen de rassurer les futurs parents d’intention, très souvent étrangers, confrontés à des difficultés administratives et logistiques supplémentaires du fait de l’invasion russe.
Dans la foulée de la publication du Syndicat de la famille, plusieurs comptes sur les réseaux sociaux republient tout ou partie de la vidéo, propageant la fausse information. Elle sera finalement débunkée une première fois par Les Vérificateurs de TF1, dans un article de février 2023.
En effet, la GPA étant légale en Ukraine, elle ne peut pas être assimilée à du trafic qui est une pratique illégale. L’article 123 alinéa 2 du code de la famille ukrainien prévoit en effet qu’ « en cas de transfert d’un embryon humain conçu par un couple marié (homme et femme) à la suite de l’utilisation de techniques de procréation assistée dans le corps d’une autre femme, les conjoints sont les parents de l’enfant ». Pour que les parents d’intention deviennent les parents de l’enfant né d’une GPA aux yeux de la loi, ils doivent donc remplir deux conditions : être un couple hétérosexuel et être mariés.
Projet de loi pour restreindre la GPA
Il n’en reste pas moins que cette pratique est extrêmement controversée et critiquée, y compris par des citoyens et politiques ukrainiens. Des députés avaient d’ailleurs essayé de la restreindre il y a un an. Dans le « projet de loi sur l’utilisation des techniques de procréation assistée et la maternité de substitution » rédigé en avril 2023, il était prévu d’interdire la GPA aux étrangers pendant la période de la loi martiale et durant les trois ans qui suivent la fin de celle-ci, précisait la commission de la santé nationale. Une mesure justifiée par « une situation démographique […] extrêmement difficile […] des taux de mortalités qui augmentent et le taux de natalité qui diminue » indiquait dans ce rapport Mykhailo Radutsky, président de la commission.
Mais la loi a finalement été rejetée lors de son vote devant le parlement Ukrainien, le 3 mai 2023, comme l’indique The Guardian et le confirme le site web de la Verkhovna Rada.
Zones grises et abus
Les critiques de la GPA en Ukraine s’appuient aussi sur des témoignages et enquêtes concernant les dérives de cette pratique et les zones grises du droit qui l’encadre, notamment pour la sécurité des mères porteuses. Le quotidien espagnol El País a révélé en 2O18 la précarité de certaines de ces mères. En France, le journal Le Monde avait enquêté en juillet 2020, en pleine pandémie, sur les pratiques parfois choquantes d’une des agences de GPA en Ukraine. Biotexcom encore une fois.
Son directeur, Albert Tochilovsky, aurait même fait pression sur un procureur pour éviter des enquêtes à son encontre selon Politico Europe. L’homme serait notamment suspecté d’évasion fiscale et de trafics d’êtres humains et a été temporairement arrêté en 2018. Aucune poursuite ne semble pourtant avoir abouti à ce jour.
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