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Des satellites de test Starlink montés sur une fusée Falcon 9, peu avant leur mise en orbite - SpaceX / CC BY-NC 2.0

Le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, a-t-il menacé de désactiver Starlink en Ukraine ?

Création : 13 mars 2025
Dernière modification : 14 mars 2025

Auteur : Hugo Guguen, juriste

Relectrice : Maylis Ygrand, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste

Source : Compte Facebook, le 4 mars 2025

D’après une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, Marco Rubio, le secrétaire d’État états-unien, aurait annoncé vouloir s’entretenir avec Elon Musk dans le but de couper l’accès au système de communications satellite Starlink utilisé par l’armée ukrainienne. En réalité, l’extrait en question a  été modifié par l’intelligence artificielle.

Après la suspension de l’aide militaire américaine et la fin du partage de renseignements, finalement rétablis après un accord passé entre l’Ukraine et les États-Unis, serait-ce la fin de l’accès au réseau de télécommunication Starlink pour Kyiv ?

À en croire certains internautes, le secrétaire d’État états-unien, Marco Rubio, aurait annoncé vouloir discuter avec Elon Musk, patron de Starlink, afin que ce dernier suspende l’accès à son réseau de satellites à l’armée ukrainienne. Ce serait un potentiel coup dévastateur pour les forces déployées sur le terrain, qui utilisent le réseau pour la communication interne et pour guider les drones sur des cibles ennemies.

« [Volodymyr] Zelensky [le président ukrainien, ndlr] n’aurait pas dû provoquer Trump et son administration ! Le secrétaire d’État américain Marco Rubio a promis de discuter avec Elon Musk de la possibilité de désactiver Starlink pour l’armée ukrainienne », écrit un utilisateur Facebook.

Plusieurs utilisateurs s’appuient sur un extrait d’une interview de Marco Rubio par CNN dans lequel ce dernier affirme qu’il « rencontrera Elon Musk dans les prochains jours » et « jure qu'[il] le convaincr[a] de couper l’accès de l’armée ukrainienne à Starlink. Alors, Zelensky verra à quel point il dépend réellement de nous. »

Bien que l’extrait vidéo provienne d’une vraie interview, l’audio est faux. Le passage mentionnant Starlink est altéré par l’intelligence artificielle (IA), comme l’ont déjà démontré l’AFP et Les Observateurs.

Un entretien authentique altéré 

Le 4 mars dernier, Marco Rubio a bien été interrogé par CNN. Lors de cette interview, la présentatrice de CNN Kaitlan Collins demande au chef de la diplomatie états-unienne pourquoi il souhaitait voir Volodymyr Zelensky s’excuser à la suite des invectives de Donald Trump et de J.D. Vance, le 28 février, à la Maison-Blanche.

Si les premières secondes de l’interview sont authentiques, la supercherie intervient à partir de la huitième seconde. Il suffit de regarder la vidéo d’origine sur le site web de CNN ou de consulter sa transcription publiée sur le site du gouvernement états-unien pour s’apercevoir que Marco Rubio ne mentionne pas Starlink.

Il répond au contraire à la question de la journaliste : « Il [le président ukrainien] n’avait pas besoin […] de se montrer aussi hostile. Écoutez, cette affaire a déraillé. Vous étiez là, je crois. Ça a déraillé quand il s’est adressé au vice-président [en disant] : Laissez-moi vous poser une question, de quel type de diplomatie parlez-vous ? Eh bien, c’est une affaire sérieuse. »

Rien à voir donc avec l’extrait diffusé massivement ces derniers jours sur les réseaux sociaux. L’audio de l’interview semble donc avoir été falsifié.

Le Centre ukrainien de lutte contre la désinformation a immédiatement tiré la sonnette d’alarme. Dans un courriel du 7 mars, la porte-parole de CNN confirme à l’AFP que le passage est altéré : « Il s’agit d’une vidéo complètement manipulée, qui n’a pas été diffusée », affirme la représentante de la chaîne.

Marco Rubio a par la suite précisé sur X (ex-Twitter) que personne ne menaçait de couper l’Ukraine du réseau Starlink. Radosław Sikorski, le ministre polonais des Affaires étrangères, avait vivement réagi à une déclaration d’Elon Musk laissant entendre que l’armée ukrainienne s’effondrerait s’il leur coupait l’accès à Starlink.

Le patron de Tesla, quant à lui, dément tout projet de désactivation de Starlink en Ukraine. « Pour être extrêmement clair, peu importe à quel point je suis en désaccord avec la politique ukrainienne, Starlink n’éteindra jamais ses terminaux », assure le milliardaire dans un post X.

Des traces de propagande russe 

En plus des déclarations officielles, plusieurs éléments de preuve techniques suggèrent que l’extrait de l’interview de Marco Rubio est généré par intelligence artificielle. Dans un entretien avec l’AFP, Siwei Lyu, directeur du Media Forensic Lab de l’université de Buffalo, affirme, après avoir analysé le segment audio, que le passage truqué est « très probablement généré par l’IA ».

La disparition momentanée de bruits de fond lors du segment mentionnant la suspension de Starlink est un autre indice permettant de détecter la modification. « Il n’y a pas de bruit de fond ni d’écho. Ce son clair est une caractéristique que nous avons observée dans de nombreux fichiers audio générés par l’IA », affirme l’expert en criminalistique des médias à l’AFP.

Pour en avoir le cœur net, nous avons utilisé de notre côté le détecteur de deepfake audio Hiya. Le résultat est formel : avec un score d’authenticité de 1 sur 100, la déclaration de Marco Rubio relative à l’arrêt de Starlink est « très probablement » imitée par une IA.

Outre le fait que l’enregistrement soit fabriqué de toutes pièces, sa propagation porte les marques de fabrique d’une opération de désinformation russe. Il est partagé par des comptes connus pour afficher des positions pro-russes et relayé par le site Pravda FR, un portail d’actualités issu du réseau de désinformation russe surnommé « Portal Kombat » par Viginium, l’organisme gouvernemental français chargé de lutter contre les ingérences numériques.

En raison de son indispensabilité pour les troupes ukrainiennes, la désinformation russe autour de Starlink est monnaie courante. À titre d’illustration, le média ukrainien de lutte contre la désinformation StopFake a récemment débunké une infox affirmant que l’Ukraine avait trouvé une alternative au système Starlink.