Le roi nu : les pouvoirs du monarque britannique

Création : 13 septembre 2022

Autrice :  Emeline Sauvage, journaliste

Auteur : Aurélien Antoine, professeur de droit public, directeur de l’Observatoire du Brexit, Université Jean-Monnet de Saint-Étienne

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Yeni Daimallah

Le 9 septembre 2022, le Royaume-Uni s’est réveillé avec un nouveau roi. À 73 ans, Charles III disposera d’un ensemble de prérogatives qui sont principalement symboliques, mais non moins importantes. Les défis qui attendent le roi Charles sont nombreux, notamment celui de parvenir à maintenir la monarchie anglaise. Mais la Couronne implique un rôle plus symbolique que politique…

“The Queen is dead” : c’est ce que titraient les journaux du monde entier le vendredi 9 septembre 2022. La mort d’Elizabeth II annoncée dans la soirée de jeudi soir par Buckingham Palace a propagé une onde de choc dans le monde entier. Sans jamais s’immiscer dans la vie constitutionnelle, Elizabeth II s’est illustrée par son sens des responsabilités et son éternelle neutralité politique. Sa mort signe la fin d’un règne de 70 ans, marqué par le délitement du Commonwealth, par une Irlande du Nord victime du Brexit, d’une Écosse qui menace de sécession et par une instabilité gouvernementale illustrée par la succession de quatre Premiers ministres en un peu plus de six ans.  

Véritable symbole de stabilité du système institutionnel britannique, la Reine a su redorer le blason de la monarchie britannique. Son fils, le roi Charles III devra à son tour porter cette couronne lourde de responsabilités tout en préservant l’impartialité de son rôle. Si ses pouvoirs demeurent limités dans les faits, son positionnement institutionnel n’en demeure pas moins important

Un pouvoir constitutionnellement limité

Contrairement à la France, le Royaume-Uni ne dispose pas d’une Constitution codifiée dans un seul document dont découlerait l’ensemble des normes constitutionnelles et qui serait supérieure aux lois du parlement. Avec la Chambre des Communes et la Chambre des Lords, le monarque forme l’entité institutionnelle du « King in Parliament« 

Cependant, les pouvoirs du souverain sont constitutionnellement restreints. La limitation de ses pouvoirs résulte d’abord des conventions de la Constitution. En outre, certains textes, comme le Bill of Rights, adopté en 1689 à l’issue de la Glorieuse Révolution, limitent les pouvoirs de la Couronne en consacrant la souveraineté du Parlement. En tant que monarque, Charles III dispose bien sûr d’un certain nombre de prérogatives laissant entendre qu’il serait une pièce maîtresse du jeu institutionnel  : la promulgation des lois – qu’on appelle le Royal assent –, la nomination du Premier ministre, le droit de grâce, ou le pouvoir de déclarer la guerre. Mais la quasi-totalité de ces prérogatives est effectivement assumée par le gouvernement dont les membres sont en principe des parlementaires élus démocratiquement.  

Par exemple, le lendemain des élections législatives, le monarque désigne comme chef du gouvernement le leader du parti le mieux placé pour constituer un gouvernement. Enfin, le Roi Charles III a désormais le pouvoir d’approuver chaque nouvelle loi. Acte évidemment symbolique puisqu’aucune n’a été refusée par la Couronne depuis 1708. Bien que beaucoup d’actes de loi soient faits en son nom, ces derniers sont issus du processus démocratique. 

Le monarque n’est que la voix du gouvernement et s’appuie la grande majorité du temps sur les conseils des membres du Parlement, comme l’illustre la cérémonie traditionnelle du “King’s speech’’. Chaque année, le Souverain vient exposer devant le Parlement, les projets législatifs de son gouvernement, les sujets qui feront l’objet de mesures ainsi que l’agenda de la session à venir. Cette cérémonie s’appuie uniquement sur les textes rédigés par le 10 Downing Street, c’est-à-dire par les services du Premier ministre.

Des prérogatives pas uniquement symboliques

Si le souverain britannique fait tout pour ne pas avoir d’incidence dans le processus démocratique, sa présence est omniprésente dans la vie de ses sujets. Billets de banques, pièces de monnaie, hymne national (God save the King), jours de deuil ou de célébration calés sur la vie de la famille royale : les symboles de la monarchie sont partout dans la société britannique. 

Mais le monarque ne se cantonne pas à une place purement symbolique de la représentation de l’État. À plusieurs reprises, la Reine fut notamment contrainte de jouer un rôle dans la désignation du chef de gouvernement. En 1957 puis en 1963, aucun nom n’émergeait naturellement pour former un gouvernement, ce qui conduisit la Reine à faire un choix, certes dicté par des consultations, mais qui l’ont contrainte à intervenir de façon inhabituelle. Le parti conservateur en tira les conséquences en modifiant les règles de désignation de son leader. Le monarque dispose également d’un droit de regard sur les lois qui concernent directement la famille royale (royal consent).

Tout est fait pour éviter que le monarque ne fasse usage de son pouvoir de façon personnelle et discrétionnaire, au risque de mettre en péril la Constitution britannique, mais certains usages constitutionnels ménagent encore un pouvoir décisionnaire résiduel au monarque.

La monarchie britannique : symbole de stabilité de l’État

Derrière ces règles de neutralité politique se cache surtout la nécessité d’assurer la préservation de la monarchie. Le fait que le chef de l’État ne soit pas élu pour un mandat limité dans le temps permet de conserver la stabilité et la pérennité des institutions.  L’interventionnisme de la Couronne relève donc surtout des conventions et de la Constitution. Le roi incarne par-dessus tout l’unité de la nation en se mettant en retrait des luttes partisanes. 

Maintenir la stabilité de la Couronne : le défi qui attend Charles III

Il est difficile de succéder à la Reine Elizabeth II qui était parvenue à maintenir la popularité de la monarchie malgré les bouleversements historiques qui ont rythmé son règne. Charles III n’hérite pas seulement des pouvoirs de la Couronne mais aussi des scandales sexuels et des soupçons de paradis fiscaux qui ont éclaboussé la famille royale récemment. La question est aujourd’hui de savoir si Charles III parviendra à s’en tenir au principe d’impartialité politique, lui qui au cours de sa vie a usé à plusieurs reprises de sa position pour tenter d’influencer le contenu de projets gouvernementaux qui portaient sur des sujets pour lesquels il portait un intérêt particulier. 

Ainsi va la vie d’un roi ou d’une reine britannique. Doté des pouvoirs constitutionnels les plus prestigieux, il ne peut en faire usage à sa guise. S’ériger en défenseur d’une cause est à ses risques et périls, mais surtout à ceux de la monarchie.

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