Le retrait de la France du traité sur la Charte de l’énergie : des effets juridiques limités
Auteur : Arthur-Hippolyte Michaut, élève-avocat à l’École de Formation des Barreaux
Relecteurs : Raphaël Maurel, maître de conférences en droit public, chercheur au CREDIMI et au CEDIN, secrétaire général adjoint du Réseau francophone de droit international
Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani
Le Président de la République a annoncé que la France se retirera du traité sur la Charte de l’énergie pour se mettre en conformité avec ses engagements climatiques. Alors que les États parties à ce traité peuvent librement s’en retirer, il est utile de s’interroger sur l’effet d’une telle décision alors que le recours à l’arbitrage tant décrié avait déjà été largement neutralisé par la Cour de justice de l’Union européenne et que le traité pourrait encore produire ses effets pendant 20 ans.
À l’issue du Conseil européen, Emmanuel Macron a déclaré le vendredi 21 octobre 2022 que la France se retirera du traité sur la Charte de l’énergie (TCE). Justifié par le président de la République comme un élément de la stratégie de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique et la réduction des émissions de CO2, ce retrait est en phase avec la recommandation du Haut Conseil pour le Climat (HCC) du 19 octobre 2022.
Qu’est-ce que ce traité sur la Charte de l’énergie ?
Le TCE est un accord international de commerce et d’investissement entré en vigueur en 1999 en France. Il vise à libéraliser les échanges en matière énergétique et comprend notamment des dispositions facilitant les investissements. Plus de cinquante États en sont partie, dont l’intégralité des États membres de l’Union européenne, à l’exception de l’Italie, et l’Union elle-même.
Comme de nombreux traités internationaux qui protègent les investissements, le TCE comporte un mécanisme de règlement des différends afin de trancher les réclamations des investisseurs faisant valoir une violation du traité par l’État hôte de leur investissement.
Pourquoi la France s’en retire ?
Ce dispositif permet à un investisseur de soumettre ce différend soit à une juridiction nationale, soit à un mécanisme d’arbitrage si l’État y a consenti. Il est très décrié depuis quelques années en raison des compensations financières très importantes octroyées aux investisseurs, en particulier lorsqu’un État prend une mesure de protection de l’environnement (qui par définition gêne et alourdit les investissements). Ainsi, on est passés de trois arbitrages par an en moyenne entre 2001 et 2011 à onze en moyenne entre 2012 et 2022. C’est l’une des raisons avancées par Emmanuel Macron pour justifier le retrait de la France.
Un traité qui profite aux énergies fossiles ?
On remarque que sur 82 affaires déclenchées par des investisseurs contre un des États signataires de ce traité, seules 37 ont abouti à une condamnation d’un État et à l’indemnisation de l’investisseur. Par ailleurs, les demandes d’indemnisation ne concernent pas majoritairement des énergies fossiles (33 % des affaires), mais davantage des énergies renouvelables (60 % des affaires). La France a notamment été poursuivie pour la première fois sur le fondement du TCE par un producteur allemand de panneaux solaires en 2022.
Reste que les récentes affaires concernant les investisseurs en énergies fossiles ont largement contribué à souligner la difficile coordination des objectifs climatiques avec le TCE. Les Pays-Bas font notamment l’objet d’une demande de dédommagement à hauteur de 1,4 milliards d’euros de la part d’un producteur allemand qui conteste la mise en œuvre d’une loi interdisant la production d’électricité avec du charbon.
La renégociation du TCE, engagée depuis 2018, n’a pas convaincu l’ensemble des États membres dont la Pologne, les Pays-Bas, l’Espagne et maintenant la France, qui ont annoncé leur souhait de se retirer du traité. La Commission européenne, qui négocie au nom des États membres, fait néanmoins valoir que la nouvelle version du TCE permettrait d’inclure les objectifs de l’accord de Paris et ne protégerait plus les futurs investissements dans les énergies fossiles, tout en limitant la protection des investissements existants à 10 ans.
Les effets du traité qui survivront au retrait de la France
Il reste que les États membres peuvent se retirer du traité en notifiant par écrit son dépositaire (en l’occurrence le gouvernement du Portugal, le TCE ayant été signé à Lisbonne). Le retrait est effectif après un an à compter de la date de réception de la notification.
Après cette date, l’État qui a notifié son retrait ne fait plus partie du TCE. En revanche, le traité prévoit que la protection des investissements continue de s’appliquer pendant 20 ans à compter du retrait effectif de l’État (“clause de survie”). Ainsi, tout investisseur ayant investi en France avant le retrait pourra tout de même s’en prévaloir après et exiger une indemnisation pendant 20 ans. C’est notamment ce qui est arrivé à l’Italie en 2018, alors que le pays n’est plus partie au TCE depuis 2016.
L’un des moyens de neutraliser cette clause de survie serait de signer un nouvel accord international qui en exclurait l’application aux États s’étant retirés du TCE, qu’il s’agisse d’États membres de l’Union ou d’États tiers. Cette solution est prônée par les défenseurs d’un retrait du traité, mais elle comporte de nombreuses incertitudes juridiques. Ainsi, la portée juridique de la décision du président de la République de retirer la France du TCE doit être relativisée.
Pour autant, il convient de nuancer l’effet de cette clause de survie. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que l’arbitrage prévu par le TCE était incompatible avec le droit de l’Union européenne lorsqu’il est utilisé à l’encontre d’un État membre par un investisseur européen. En effet, les tribunaux arbitraux prévus par le traité TCE ne sont pas des juridictions étatiques, et ne sont donc pas autorisés à interpréter le droit de l’Union. Cette décision de la CJUE a ainsi eu l’effet recherché par le président de la République : les différends au sein de l’Union européenne représentent la majorité des actions entreprises par les investisseurs contre les États membres, et c’est précisément dans ces cas que la CJUE a exclu tout règlement devant les tribunaux arbitraux.
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