Le passe sanitaire passe devant le Parlement
Dernière modification : 22 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit, Université Paris-Saclay
L’heure n’est plus à se demander si le passe sanitaire est discriminant, mais comment il va discriminer.
Nous avions a eu l’occasion de nous demander si le fait de réserver certaines activités aux titulaires d’un passe sanitaire était contraire au principe d’égalité, et répondu que toute discrimination n’est pas illégale en droit français, pourvu qu’elle soit proportionnée à l’objectif poursuivi et en lien avec cet objectif. S’agissant d’une atteinte aux libertés, il a fallu passer devant le Parlement, et donc faire voter une loi. C’est en cours, le projet est en discussion à l’Assemblée nationale, avant de passer devant le Sénat. Ce projet porte sur la vaccination obligatoire des personnels soignants ou aides-soignants, mais aussi sur ce fameux passe sanitaire qui nous intéresse ici.
Le législateur, expression de la volonté générale selon Montesquieu, va-t-il donc nous plonger dans une féroce dictature en obligeant tout un chacun à s’injecter la ciguë concoctée par l’industrie pharmaceutique alliée à la finance internationale avec l’aide du Mossad ? Heureusement il existe encore quelques contre-pouvoirs dans notre bonne vieille dictature française.
L’avant-projet de cette loi est d’abord passé pour examen devant le Conseil d’État qui sert comme son nom l’indique de conseil du gouvernement dans son activité de fabrication des projets de loi. Dans son avis rendu ce lundi, le Conseil d’État a énoncé plusieurs conditions pour que le passe sanitaire soit conforme à la Constitution. Ces conditions se retrouvent dans le projet de loi présenté à l’Assemblée nationale.
Le passe sanitaire ne doit obliger personne à se faire vacciner, même indirectement
Le problème juridique était réel : il est en principe interdit en France et dans toute démocratie respectueuse de la dignité humaine, d’obliger une personne à suivre des soins. C’est le principe du consentement aux soins, qui n’a rien à voir avec le soi-disant Code de Nuremberg invoqué à tort et à travers, mais avec un article tout simple du Code de la santé publique : “Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement”. Ce principe n’est pas remis en cause par le passe sanitaire. Inutile donc de brandir de façon totalement déplacée et scandaleuse des étoiles jaunes, personne ne risque de finir dans un four crématoire ou de subir les expériences médicales de Mengele dans les camps nazis.
Nous avons déjà souligné ce point à propos de Rachida Dati qui, dans un registre bien moins effrayant heureusement, voulait interner de force les toxicomanes. Mais on n’en est pas encore là. Le passe sanitaire ne doit pas, dit le Conseil d’État, créer une obligation de fait (ou indirecte) de se faire vacciner, c’est-à-dire multiplier les difficultés dans les activités de la vie quotidienne pour les personnes non vaccinées, au point qu’elles en viendraient à se faire vacciner contre leur volonté, voire leurs convictions profondes. C’est pourquoi le passe sanitaire prend en compte la vaccination, mais aussi le rétablissement post-covid (depuis moins de six mois), et les tests PCR négatifs de moins de 48 heures.
De plus, pour éviter cette obligation vaccinale indirecte, la loi prévoit certaines exceptions à l’obligation de présenter un passe sanitaire. Premièrement, pour l’entrée dans les grands magasins et centres commerciaux, au‑delà d’un seuil de surface qui sera défini par décret, l’accès doit être garanti sans passe sanitaire, s’agissant de l’accès aux biens et produits de première nécessité. Deuxièmement, pas non plus de passe sanitaire pour l’accès à tous les lieux destinés à faire face à des situations d’urgence, y compris pour les accompagnants (établissements de santé, EHPAD). Troisièmement, idem pour les transports publics longue distance, mais seulement en cas d’urgence. Idem, quatrièmement, pour la restauration collective (en entreprise ou en milieu éducatif, carcéral, etc.), pour la restauration professionnelle routière (car souvent les routiers n’ont guère de choix pour leurs repas), mais pas pour les débits de boissons. A contrario, le passe sanitaire sera obligatoire pour la restauration classique, du moins à ce stade des discussions au Parlement. Enfin, les lieux de culte ne sont pas non plus concernés.
À noter que, dans tous ces cas, les gestes barrière restent obligatoires selon les modalités propres à chaque type d’établissement.
Le passe sanitaire, c’est écraser un moustique au rouleau compresseur ?
En dernier ressort, c’est ce que devra décider le Conseil constitutionnel une fois la loi votée. D’ores et déjà, on sait par les amendements déposés que LFI (la députée Caroline Fiat), le PS (Lamia El Aarage) et LR (Eric Diard) ont l’intention de saisir le Conseil constitutionnel contre le passe sanitaire s’il est voté.
Ce sera donc au Conseil constitutionnel de vérifier si ce passe est conforme à la Constitution, c’est-à-dire si les limitations aux libertés (aller et venir des personnes, refus de soins des personnes, liberté d’entreprendre des commerçants, etc.) ne sont pas disproportionnées par rapport au danger encouru (aggravation de la quatrième vague). Le raisonnement du Conseil constitutionnel est simple : l’objectif de protection de la santé est constitutionnel, c’est même un droit individuel. Nous avons tous, selon la Constitution, un droit individuel à la protection de notre santé (la Nation “garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé”).
Mais nous avons aussi des libertés individuelles, en particulier toutes celles que garantit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il faut donc trouver un équilibre entre tous ces droits. Il faut aussi trouver un équilibre entre les citoyens eux-mêmes, ceux qui privilégient la santé et ceux qui privilégient la liberté d’aller et venir par exemple.
Si la pandémie de Covid 19 n’est pas si grave et peut se maîtriser à l’aide des compléments vitaminés, comme l’affirment d’aucuns au mépris de la vérité scientifique, alors le passe sanitaire proposé est assurément disproportionné. Si cette pandémie constitue un danger grave pour la santé de tous, comme l’affirment d’autres, alors il n’y a pas disproportion et le passe sanitaire est conforme à la Constitution.
Entretemps, la discussion au Parlement aura fait évoluer le projet. Fin provisoire donc…
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