Le Parlement européen cède-t-il son pouvoir à la Commission européenne de façon « antidémocratique » comme l’affirme Elon Musk ?
Dernière modification : 2 janvier 2025
Autrice : Emilie Mellah, master Droit international et droit européen à Lille
Relecteurs : Vincent Couronne, docteur en droit européen, enseignant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Compte X, le 27 novembre 2024
« C’est antidémocratique », tonne Elon Musk sur X, la plateforme qu’il a rachetée en 2022. Répondant à la vidéo d’un eurodéputé sur la nomination des commissaires européens — dans laquelle l’élu critique le fait que le Parlement européen ne vote pas pour chaque candidat commissaire mais seulement lors d’un vote où il ne peut qu’accepter ou rejeter en bloc — le milliardaire a jugé bon de donner son avis sur le fonctionnement des organisations européennes. « Le Parlement européen devrait voter directement sur les sujets, et non abandonner son autorité à la Commission européenne. »
Par cet avis tranché, il soulève un point de vue qui mérite d’être nuancé. En effet, cette déclaration suggère que le Parlement européen se prive de son pouvoir législatif, ce qui n’est pas tout à fait exact : le Parlement européen n’abandonne pas véritablement son autorité ou son droit de vote pour le laisser à la Commission. Il va seulement déléguer sa compétence à la Commission dans certains cas précis et limités.
Des rôles bien définis
Pour comprendre la distinction entre ces institutions, il convient de rappeler leurs rôles respectifs au sein de l’Union européenne. La Commission européenne, selon l‘article 17 (1) du traité sur l’Union européenne (TUE), agit en tant qu’exécutif de l’Union, elle est chargée de la mise en œuvre des politiques et de la législation adoptée par le Parlement européen et le Conseil de l’UE. Mais elle détient aussi un pouvoir d’initiative législative dans la plupart des domaines selon l’article 17 (2) du TUE, ce qui lui permet de proposer des actes législatifs. Suite à la proposition d’acte de la Commission, le Parlement européen intervient.
Les membres de ce dernier sont, quant à eux, élus au suffrage universel direct selon l’article 14 (3) du TUE. Ils représentent les citoyens européens et participent à l’adoption des lois mais aussi à l’adoption du budget de l’Union. Dans les deux cas, c’est avec le Conseil de l’Union européenne, qui réunit les ministres des États membres (article 294 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)). Donc, à ce stade, c’est bien le Parlement qui adopte la législation européenne.
Abandon de pouvoir ou délégation sous étroite surveillance ?
L’un des moyens par lequel la Commission européenne peut exercer certains pouvoirs du Parlement est à travers les actes délégués. Conformément à l’article 290 du TFUE, ces actes permettent à la Commission d’adopter des mesures législatives pour compléter ou ajuster des éléments non essentiels d’une législation.
Cependant, cette délégation de pouvoir est strictement encadrée par l’acte législatif de base, qui définit les conditions précises dans lesquelles la Commission peut agir. Les éléments essentiels doivent toujours être décidés par le législateur, c’est-à-dire par le Parlement et le Conseil montrant l’importance de ces acteurs même lors de délégation.
De plus, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne conservent un pouvoir de contrôle sur ces actes délégués. Ils disposent d’un droit d’objection, ce qui leur permet de rejeter un acte délégué adopté par la Commission si celui-ci ne respecte pas les conditions fixées. Ils disposent aussi d’un droit de révocation de la délégation de pouvoir. Cette révocation peut se faire à tout moment selon l’article 290 (2) du TFUE, montrant ainsi que le Parlement et le Conseil conservent une influence considérable sur les décisions que peut prendre la Commission.
L’autre moyen permettant une action de la Commission est à travers les actes d’exécution. Ces actes sont prévus par l’article 291 du TFUE, ils permettent à la Commission d’adopter des mesures concrètes pour appliquer la législation européenne. Contrairement aux actes délégués, ils se concentrent sur les aspects techniques de l’application des règles, sans modifier les éléments essentiels de la législation. De même pour ce moyen, des objections peuvent être faites demandant le retrait ou la modification des mesures proposées par la Commission.
Ainsi, affirmer que le Parlement européen « abandonne » son autorité au profit de la Commission est une lecture peu nuancée des mécanismes européens. La réalité est que, bien que le Parlement et le Conseil peuvent déléguer certains pouvoirs à la Commission, ils conservent un contrôle important sur ce que fait la Commission et peuvent reprendre leurs prérogatives à tout moment.
Dans les faits, des préoccupations démocratiques persistent
Cependant, il est nécessaire de mentionner que, dans certains cas d’actes délégués, le Parlement a pu laisser énormément de marge de manœuvre à la Commission notamment lors de flou ou d’orientations trop générales dans les textes.
Prenons l’exemple du Digital Services Act (DSA), qui est un règlement clé pour le numérique, où la Commission européenne se voit conférée des pouvoirs étendus par le biais d’actes délégués.
L’article 87 du DSA encadre la délégation de pouvoirs et permet ainsi à la Commission d’intervenir sur cinq articles clés (24, 33, 37, 40 et 43). Ces dispositions concernent, entre autres, la transparence, les audits des très grandes plateformes en ligne ou encore les obligations de coopération.
Bien que cet article fixe des conditions à la délégation, les orientations générales laissent à la Commission une marge importante pour en définir les modalités précises, avec un rôle donné essentiellement aux États membres pour contrôler la rédaction de l’acte, au détriment du Parlement européen. L’article 87 paragraphe 4 du DSA prévoit en effet que la Commission soumet aux États membres son projet d’acte avant adoption.
Cette mise de côté, même relative, du Parlement européen, peut être interprétée comme un déficit démocratique, le Parlement européen étant celui qui, en vertu des traités, représente les citoyens de l’Union européenne. Mais les tenants d’une souveraineté plus nationale peuvent opposer à cette critique le fait que la légitimité démocratique est mieux représentée par les gouvernements des États. Par son commentaire, Elon Musk se range, peut-être sans le savoir, du côté des fédéralistes européens plutôt que de celui des souverainistes.
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