Le maire de Grenoble, Éric Piolle, veut supprimer les fêtes religieuses dans le calendrier. Quand le calendrier républicain a remplacé le grégorien
Auteur : Thierry Meneau, enseignant en histoire du droit, Université Paris-Saclay
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Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
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Eric Piolle s’inscrit dans une longue tradition de contestation du calendrier grégorien en raison notamment de ses liens avec le christianisme. Une expérience fut tentée en 1793 avec le “calendrier républicain” imaginé par le poète Fabre d’Églantine. Bonaparte y mit fin pour des raisons politiques en 1805. Le maire de Grenoble aurait pu s’en inspirer : on avait vu un calendrier si écologiste.
Dans un tweet du 24 mai 2023, Éric Piolle déclare : “Supprimons les références aux fêtes religieuses dans notre calendrier républicain : déclarons fériées les fêtes laïques qui marquent notre attachement commun à la République, aux révolutions, à la Commune, à l’abolition de l’esclavage, aux droits des femmes ou des personnes LGBT”.
Le maire de Grenoble s’inscrit dans une longue tradition de contestation du calendrier grégorien notamment en raison de ses liens avec le christianisme, au travers des fêtes religieuses ainsi qu’il l’indique explicitement. On doit analyser sa proposition comme un projet de réforme du calendrier qu’il qualifie avec ambiguïté de “calendrier républicain”.
Le rejet du calendrier grégorien par la Révolution
Le 20 septembre 1792, l’Assemblée législative cède la place à une nouvelle assemblée élue, la Convention. C’est sous la Convention que le calendrier traditionnel sera remis en cause. Depuis 1789, l’œuvre de la Révolution pouvait apparaître comme une vaste entreprise de déchristianisation, et il fut tentant de substituer au calendrier rythmé par les fêtes chrétiennes, un calendrier républicain, même si cela n’était pas le seul objectif.
C’est un décret du 5 octobre 1793 qui mit en usage le nouveau calendrier. Il commence rétroactivement le 22 septembre 1792, jour de la proclamation de la république et qui se trouvait être également le jour de l’équinoxe d’automne.
“Le 22 septembre fut décrété le premier de la République, et le même jour à 9 heures 18 minutes 30 secondes du matin le soleil est arrivé à l’équinoxe vrai, en entrant dans le signe de la balance. Ainsi l’égalité des jours aux nuits était marquée dans le ciel, au moment même où l’égalité civile et morale était proclamée par les représentants du peuple français comme le fondement sacré de son nouveau gouvernement”, ainsi que le déclara le conventionnel Charles Gilbert Romme devant la Convention.
Le poète Fabre d’Églantine, auteur du nouveau “calendrier républicain”
La nomenclature de Romme fut cependant repoussée et la Convention retint celle de Fabre d’Églantine. Ce faisant, l’Assemblée rejeta une nomenclature qui puisait dans l’histoire, Romme ayant imaginé “un calendrier-récit” qui combinait en une année les événements révolutionnaires. En choisissant la nomenclature Fabre, il y eut un vaincu et ce fut la référence révolutionnaire elle-même ; ce fut la victoire de la nature contre l’histoire.
“L’ère des Français” comporte une année de 12 mois de 30 jours, les noms de ces mois proposés par Fabre s’accordent aux saisons. Chaque mois est divisé en décades (10 jours). La décade se décline de “primidi” à “decadi” (ce dixième jour étant voué au repos). L’idée ici est bien de remplacer un temps chrétien et de faire émerger un calendrier français, rationnel, marqué par la nature. L’État devenait le maître du temps, le maître des horloges, dirait-on aujourd’hui.
Robespierre, initiateur des fêtes de la République dans le nouveau calendrier
Ce mouvement de déchristianisation, dont il est impossible de décrire ici toutes les phases – le calendrier n’en étant qu’une – finit par indisposer la Convention elle-même en décembre 1793. Robespierre, lui, l’avait dénoncé dans un discours aux Jacobins du 1er frimaire an II (21 novembre 1793). Il était déiste à la manière de Jean-Jacques Rousseau qui avait développé sa pensée dans son fameux ouvrage le Contrat social, au chapitre VIII du livre IV.
Robespierre veut ressouder dans une même foi et une même morale toutes les catégories sociales, et c’est dans ce sens qu’il convient de comprendre le décret du 18 floréal an II (7 mai 1794). Ce texte prévoyait en son article premier la reconnaissance de l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme par le Peuple français. Il instituait en son article IV des fêtes pour “rappeler l’homme à la pensée de la divinité et à la dignité de son être”. Ces fêtes, tel que le voulait l’article V, devaient emprunter leurs noms aux événements glorieux de la Révolution, aux “vertus les plus chères et les plus utiles à l’homme” et “au bienfait de la nature”. L’article VI en donnait une liste : “La République française célèbrera tous les ans les fêtes du 14 juillet 1789 [prise de la Bastille], du 10 août 1792 [chute du trône], du 21 janvier 1793 [mort du roi], du 31 mai 1793 [chute des girondins]”.
Ce texte poursuivait en instituant des fêtes que la république devait fêter aux jours des décades et dont l’énumération de l’article VII est bien un fidèle reflet des vertus républicaines : “à l’Être suprême et à la Nature ; au Genre humain ; au Peuple français ; aux Bienfaiteurs de l’humanité ; aux Martyrs de la liberté ; à la Liberté et à l’Égalité ; à la République ; à la Liberté du monde ; à l’Amour de la Patrie ; à la Haine des tyrans et des traîtres ; à la Vérité ; à la Justice ; à la Pudeur ; à la Gloire et à l’Immortalité ; à l’Amitié ; à la Frugalité ; au Courage ; à la Bonne Foi ; à l’Héroïsme ; au Désintéressement ; au Stoïcisme ; à l’Amour ; à l’Amour conjugal ; à l’Amour paternel ; à la Tendresse maternelle ; à la Piété filiale ; à l’Enfance ; à la Jeunesse ; à l’Âge viril ; à la Vieillesse ; au Malheur ; à l’Agriculture ; à l’Industrie ; à nos Aïeux ; à la Postérité ; au Bonheur”.
Presque dans un même mouvement, le Montagnard Robespierre célébrera la fête de l’Être suprême et sera emporté par le 9 Thermidor.
Les Thermidoriens, qui ont renversé Robespierre, devront élaborer un savant compromis entre la nécessité de rompre avec les Montagnards – partisans de Robespierre – tout en conservant l’idéal républicain.
Un calendrier républicain conservé lors de l’arrivée au pouvoir des opposants à Robespierre
C’est ainsi que le calendrier fut conservé et que plus tard, le Directoire en avait rappelé le caractère obligatoire avec l’entrée en vigueur de la Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795) qui dispose en son article 372 : “L’ère française commence au 22 septembre 1792, jour de la fondation de la République”. Bien qu’ayant proclamé la séparation de l’Église et de l’État et la liberté des cultes par la loi du 3 ventôse an III (12 février 1795), le Directoire oscilla entre une politique d’apaisement et une politique de persécution avec l’Église catholique et il n’hésita pas à promouvoir des pratiques religieuses plus conformes à la république comme le culte de la Théophilanthropie. De même, il tenta de marquer par différentes mesures législatives autoritaires le respect du culte décadaire. Toutes ces mesures traduisaient bien la résistance de la population, si bien qu’en messidor an VII, Boulay de la Meurthe remarquera que le peuple est plus attaché à l’indépendance de ses opinions religieuses qu’à toute idée de liberté. Il rajoutera : “un usurpateur habile, même avec des forces peu considérables, se ferait des partisans en garantissant cette liberté”.
Napoléon Bonaparte, en terminant la Révolution, met un terme au calendrier républicain
Le Directoire finissant se “cherche une épée” : Bonaparte sera cet homme. Le coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) réussi, il s’attellera à mettre en œuvre une véritable politique de pacification. “Napoléon croyait-il en Dieu ? La question sans cesse posée n’a pas encore reçu de réponse”. Ainsi s’exprime l’historien Jean Tulard au dans la préface d’un ouvrage récent , (Philippe Bornet, Napoléon et Dieu, Via Romana, 2021).
En réalité, ce n’est probablement pas la bonne question, car c’est d’un extraordinaire réalisme politique dont Bonaparte va faire preuve, ce que les Mémoires sur le consulat (Paris, 1827) de Thibeaudeau constateront. Dans ces mémoires, il rapporte la discussion entre le premier consul et un conseiller d’État : “Le 21 prairial an IX (10 juin 1801), le conseiller d’État N […] dînait à la Malmaison. Après le dîner, le Premier Consul l’emmena seul avec lui dans le parc, et mit la conversation sur la religion. Il combattit longuement les différents systèmes des philosophes sur les cultes, le déisme, la religion naturelle, etc. Tout cela n’était, suivant lui, que de l’idéologie. […] ‘Tenez, dit-il, j’étais ici dimanche dernier, me promenant dans cette solitude, dans ce silence de la nature. Le son de la cloche de Rueil vint tout à coup frapper mon oreille. Je fus ému ; tant est forte la puissance des premières habitudes et de l’éducation. Je me dis alors : quelle impression cela ne doit-il pas faire sur les hommes simples et crédules ! Que vos philosophes, que vos idéologues répondent à cela ! Il faut une religion au peuple. Il faut que cette religion soit dans la main du gouvernement.’”
Cette religion, dans l’esprit de Bonaparte, ne pouvait être que la religion catholique, parce que c’était “celle de la majorité des Français”. Il se défend toutefois d’être papiste : “je ne suis rien ; j’étais mahométan en Egypte, je serai catholique ici pour le bien du peuple. Je ne crois pas aux religions […] mais l’idée d’un Dieu […] et levant ses mains vers le ciel : qui est ce qui a fait tout cela ?”. C’est avec cet état d’esprit que Bonaparte signera le Concordat le 26 messidor an IX (15 juillet 1801), une convention entre sa Sainteté Pie VII et le gouvernement français établissant les relations entre la France et le Vatican. Logiquement, le calendrier républicain sera abrogé le 22 fructidor an XIII (9 septembre 1805) par un sénatus-consulte impérial, qui de plus rétablit le calendrier romain (grégorien) à partir du 11 nivôse an XIV (1 janvier 1806).
“Remodeler l’homme”, telle était la volonté des révolutionnaires, “déconstruire l’homme” peut s’apparenter à la version contemporaine de cette idée ancienne. Pour ce faire, on peut reprocher à Éric Piolle un manque d’audace. Pourquoi ne pas avoir proposé un véritable retour au calendrier de Fabre d’Églantine, véritable calendrier écologiste ? Ce calendrier exaltaient les saisons (frimaire, vendémiaire, nivôse, pluviôse, germinal, floréal, fructidor, etc.). Il consacrait chaque décadi (dixième jour des trois décades par mois) à un instrument aratoire (par exemple le pressoir), et chaque quintidi (cinquième jours) à un animal utile aux hommes (par exemple le cheval) et comblait les autres jours d’un “odoriférant herbier”. C’était un véritable hymne au triomphe de la nature qui ne demandait qu’à devenir un hymne à l’idéal écologiste.
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