Le gramme de cocaïne coûte-t-il en moyenne 30 euros en France ?
Autrice : Maylis Ygrand, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Compte Facebook, le 28 août 2025
À en croire certains internautes, le prix du gramme de cocaïne s’établirait désormais à 30 euros, soit quatre fois moins cher qu’il y a vingt ans. Ces chiffres, tirés d’une interview du criminologue Xavier Raufer, ne correspondent pas au prix moyen actuellement en vigueur sur le territoire français.
Un prix divisé par quatre en vingt ans. Selon certains internautes, la cocaïne sera bientôt accessible aux plus petites bourses : « Il y a 20 ans :120€/g… aujourd’hui : 30€/g ». Source à l’appui : un extrait de l’émission « Points de Vue », le podcast du Figaro avec, à l’affiche, le criminologue Xavier Raufer.
Si une diminution du prix du gramme de cocaïne existe bel et bien, elle n’est pas aussi importante. Explications.
La généralisation d’un cas circonscrit
Le 25 août 2025, Xavier Raufer était l’invité du Figaro TV. Interrogé sur la question du trafic de stupéfiants, le criminologue argue que « quand Monsieur Darmanin devient ministre de l’Intérieur, un gramme de cocaïne coûte 60 euros, là j’ai parlé la semaine dernière avec des policiers en civil qui se déguisent en drogués et qui vont traîner du côté de la gare du Nord, on touche maintenant dans certains coins à Paris le gramme à 30 euros ».
D’un cas circonscrit, il généralise ensuite ce prix : « Il y a encore vingt ans, c’était 120 euros le gramme […] elle est [maintenant] quatre fois moins cher« . L’écart est spectaculaire, il n’en fallait pas plus pour que les réseaux sociaux et Le Figaro lui emboîtent le pas. Trois jours après l’émission, le quotidien titre : « Quatre fois moins chère qu’il y a 20 ans : l’inquiétante chute du prix de la cocaïne ».
Pourtant, passé le titre aguicheur, l’article présente les conclusions de l’Office anti-stupéfiants (Ofast) dont « la base de données est de loin la plus fiable de toutes en la matière ». Et « ses chiffres […] diffèrent quelque peu de ceux livrés par Xavier Raufer« , écrit le journaliste.
58 euros le gramme
Opérationnelle depuis le 1er janvier 2020, l’Ofast est chargée de coordonner la lutte contre les trafics de drogue sur le territoire français. Et pour Yasmine Salhi, chargée d’études à l’organisme public indépendant, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) : « La référence pour déterminer le coût du gramme de cocaïne en France, que ce soit dans les rapports institutionnels ou dans les médias en général, c’est l’Ofast ».

L’Office français de lutte contre les stupéfiants (OFAST) au siège de la Direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) à Nanterre, le 26 juin 2025. Photo : Julien De Rosa / AFP
Chaque année, « les prix de détail et de gros sont réalisés à partir des remontées du terrain communiquées par les services de police et de gendarmerie sur le territoire national », explique le service d’information et de la communication de la police nationale (Sicop).
Et en effet, comme a pu le confirmer aux Surligneurs le Sicop, les chiffres de l’Ofast sont plus élevés que ceux avancés par Xavier Raufer : « En 2024, le prix de détail courant du gramme de cocaïne est de 58 euros ».
Des disparités de prix sur le territoire
Mais à noter que « c’est une moyenne de tout ce qui a été observé dans les différents services de police et de gendarmerie au niveau national », souligne Yasmine Salhi. Or, « le prix de la cocaïne n’est pas un prix homogène sur le territoire ».
Plusieurs variables entrent en jeu. Tout d’abord, celle d’ordre géographique, et notamment entre les villes situées sur le continent européen et celles d’outre-mer, explique la chargée d’études à l’OFDT.
Ainsi, d’après une étude de l’OFDT en Guyane en 2024, « la forme chlorhydrate [sous forme de poudre, ndlr] [de la cocaïne] est vendue à un prix entre deux et trois fois inférieur à celui pratiqué en France hexagonale ». Et ce, en raison de « la circulation intense de cocaïne liée au trafic international en Guyane [qui] favorise une offre locale abondante et à bas coût de ce produit », explique le rapport.

Des douaniers découvrent de la cocaïne dans les sacs d’un passager d’un vol à destination de Paris en provenance de la Guyane française, en 2024. Photo : Ludovic Marin / AFP
A contrario, d’après une étude de l’OFDT sur les tendances récentes concernant les substances psychoactives, usagers et marchés à La Réunion en 2024, le prix courant sur l’île s’élève à 150 euros le gramme, car le territoire se situe « très loin des routes traditionnelles », souligne Yasmine Salhi.
Prix d’ami et effet discount
D’autres variables entrent également en jeu. « Cela dépend du vendeur, du lien entre le vendeur et l’acheteur ou encore de la qualité des produits », énumère la chargée d’études. Par exemple, l’OFDT a observé à Bordeaux « un prix bas qui était de 30 euros le gramme, mais ce n’est pas un prix normal, c’est un prix d’ami, c’est-à-dire que le dealer était proche du client », illustre-t-elle.
Autre situation où le prix du gramme peut être aussi bas : lorsqu’une personne achète une quantité plus importante que celles généralement achetées, il y a alors « un effet discount », pointe Yasmine Salhi.
Enfin, certains endroits se prêtent à une revente à un coût plus élevé que la moyenne comme dans « les espaces festifs », détaille la chargée de projet de l’OFDT.
Dans tous les cas, ce coût de 30 euros n’est donc « pas du tout la norme et dépend de contexte précis », conclut-elle. Contacté par la rédaction, Xavier Raufer affirme être resté circonscrit à un cas particulier — autour de la gare du Nord au début du mois d’août 2025.
Selon lui, le fait de vouloir établir une moyenne du prix du gramme de cocaïne s’assimile à “une approximation grossière de milliers de situations différentes » et ses dires au sujet d’une cocaïne quatre fois moins chère qu’il y a vingt ans expriment « une tendance à la baisse ».
Quant à la moyenne de 58 euros avancée par l’Ofast, le criminologue indique que « ce sont des chiffres qui datent d’un an même si on les donne comme actuels », concluant qu’ils sont « périmés et dépassés ». D’après ses sources, certains « experts internationaux [composés selon lui de « professeurs de fac » ou encore de personnes « expertes en matière de plantes de coca », ndlr] pensent qu’en Europe, le gramme de cocaïne vaudra moins de 45 euros fin 2025″.
Une division par deux en vingt-cinq ans
Si le coût du gramme de cocaïne est de 58 euros, et non de 30, est-il vrai que son prix a été divisé par quatre en vingt ans ? Faux, à en croire un rapport de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (ancien nom de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives) de mars 2020.
Dans ce dernier, l’OFDT établissait le prix moyen de la cocaïne en France à 534 francs, soit environ 120 euros, en 2000. Le coût moyen d’un gramme de cocaïne a donc été divisé par deux en vingt-cinq ans, et non par quatre en vingt ans.
Durant la décennie de 2013 à 2023, comme le rapporte l’OFDT (ici et ici), le prix moyen du gramme de cocaïne s’était stabilisé autour de 66 euros avant qu’il ne tombe en 2024 à 58 euros.
Mais, en réalité, « le prix réel de la substance est en baisse depuis longtemps », note Yasmine Salhi de l’OFDT. En effet, depuis le début des années 2010, la teneur en principe actif de la cocaïne est en hausse. Alors qu’elle s’élevait à 46 % en 2011, elle était en 2023 de 73 %. Autrement dit, la cocaïne achetée en France est de moins en moins coupée avec d’autres produits et donc de plus en plus pure.
Une production mondiale estimée fortement en hausse
La teneur en principe actif n’est pas la seule à avoir augmenté significativement. La production mondiale estimée de cocaïne ne cesse de battre des records. Selon le rapport mondial sur les drogues de 2025, « la fabrication de cocaïne a de nouveau atteint un niveau record en 2023, à 3 665 tonnes (cocaïne pure) ». L’année d’avant, la fabrication avait également bondi avec « plus de 2 700 tonnes, soit 20 % de plus que l’année précédente et trois fois plus qu’en 2013 et 2014 », d’après le rapport mondial sur les drogues de 2024.

La police militaire du Honduras monte la garde lors de l’incinération de 5,6 tonnes de cocaïne dans une unité militaire du pays, le 13 juin 2024. Photo : Orlando Sierra / AFP
Et cette surproduction n’est pas anodine. Elle explique en partie la baisse du prix moyen de la cocaïne. En effet, pour expliquer cette diminution, le Sicop avance plusieurs raisons : « L’augmentation de la production mondiale, l’accélération de la vitesse de circulation et de la quantité des produits et la multiplication des vecteurs et acteurs du trafic ».
En parallèle, comme le souligne le Sicop, « le marché s’est considérablement diversifié et la consommation augmente depuis 2017 ». D’après l’OFDT, « la cocaïne, sous sa forme chlorhydrate, est le produit illicite le plus consommé en France après le cannabis, la part des 18-64 ans ayant expérimenté la cocaïne ayant fortement progressé sur la dernière période(de 5,6 % en 2017 à 9,4 % en 2023) ». En 2023, 1,1 millions de Français avaient consommé au moins une fois de la cocaïne sur les douze derniers mois.
Une augmentation qui s’explique probablement par la généralisation de certaines pratiques de vente, comme le rapporte l’OFDT. Ainsi, pour pouvoir s’ouvrir à un public d’usagers au portefeuille moins fourni, les vendeurs permettent aux usagers d’acheter des doses inférieures au gramme, comme un demi-gramme.
Cette circulation grandissante de la cocaïne en France n’est pas sans conséquences. Selon Santé publique France, entre 2010 et 2022, le taux de passages aux urgences pour cocaïne a plus que triplé. Cela concernait, en 2022, 72 passages par semaine en moyenne en France.
D’après le ministère de l’Intérieur, « en 2024, 367 faits d’assassinats et de tentatives d’assassinats entre délinquants sur l’ensemble du territoire national ont été constatés, 341 personnes ont été blessées et 110 sont décédées en lien avec le trafic de stupéfiants ».