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Crédit : capture d'écran X

Le gouvernement canadien ne prévoit pas d’euthanasier les enfants souffrant de troubles mentaux sans l’accord de leurs parents

Création : 4 juin 2025

Auteur : Jean-Baptiste Breen, étudiant en master de journalisme à Sciences Po Paris

Relecteur : Etienne Merle, journaliste 

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clarisse Le Naour, Double cursus L3 science politique et L3 droit public à l’université Lumière Lyon II

 

Source : Compte Facebook, le 2 juin 2025

Plusieurs internautes affirment que le gouvernement canadien aurait pour projet d’étendre l’accès à l’aide médicale à mourir aux mineurs souffrant de troubles mentaux. C’est faux. Cette désinformation refait surface dans l’Hexagone après une intense polémique au Canada autour d’une brochure publiée sur le sujet.

À l’ouest, rien de nouveau. Des voix numériques s’élèvent dans l’Hexagone pour rappeler les prétendues dérives causées au Canada par l’aide médicale à mourir. Ces accusations coïncident avec la récente adoption en première lecture, le 27 mai, de la loi sur la fin de vie par les députés français. Timing fortuit ?

À en croire le titre d’un article relayé par des internautes, dont Silvano Trotta – célèbre sur X pour promouvoir des contenus erronés – « les enfants souffrant de troubles mentaux » au Canada pourraient avoir accès à l’« euthanasie sans le consentement de leurs parents ».

Ce discours émane d’une théorie datée. En 2022, Tucker Carlson, alors présentateur chez Fox News, avait grandement contribué à relayer cette information erronée. Débunkée en long, en large et en travers par nos confrères de l’AFP ou de Fake Off, elle avait fait grand bruit dans l’Hexagone. Trois ans plus tard, cette information est toujours aussi fausse, comme ont pu le vérifier les Surligneurs.

Rien de nouveau sous le soleil ?

Pour comprendre, un rapide bond en arrière s’impose. En 2016, le Canada a modifié son code criminel pour autoriser la mise en place de l’aide médicale à mourir (AMM). Pour en bénéficier, un Canadien doit souffrir d’une « maladie, affection ou incapacité grave et incurable«  et être dans un « état avancé de déclin irréversible de ses capacités ». Autre condition sine qua non : être majeur. Impossible d’avoir accès à l’AMM avant d’avoir 18 ans. Autrement dit, contrairement aux affirmations de ces internautes, aucun enfant ne peut bénéficier de l’aide médicale à mourir au Canada.

Qu’en est-il alors de personnes souffrant de troubles mentaux ? Là encore, la loi est claire et ne permet pas aux personnes dont la seule pathologie est un trouble mental de bénéficier de l’AMM.

Pour autant, le gouvernement canadien a envisagé à plusieurs reprises d’étendre l’accès à l’AMM aux adultes souffrant d’une affliction mentale. Débattu depuis 2021, ce dispositif a été plusieurs fois repoussé. À ce jour, cette mesure devrait être mise en place le 17 mars 2027. Mais elle ne concernera en aucun cas les enfants qui, du fait de leur âge, sont automatiquement exclus de l’accès à l’aide médicale à mourir.

Donna Stewart, professeure en psychiatrie à l’Université de Toronto et membre du comité d’évaluation des décès de l’aide médicale à mourir, précise aux Surligneurs que « si l’accès à l’AMM pour les personnes souffrant de troubles mentaux est mis en place en 2027 cela ne changera rien à la question de l’âge minimum de 18 ans ». Preuve supplémentaire, s’il en fallait, que les allégations de mineurs euthanasiés, souffrant ou non de troubles mentaux, ne résistent aucunement à l’épreuve des faits. Considérer dans le même temps que ces enfants auront accès à l’aide à mourir sans l’aval de leurs parents est tout aussi faux.

Une brochure évangélique

La résurgence de cette intox coïncide avec la circulation en ligne, fin mai, d’une brochure publiée par l’Alliance Évangélique du Canada (EFC). Opposée à l’euthanasie, celle-ci dénonçait notamment l’idée d’ouvrir l’aide médicale à mourir (AMM) aux mineurs dits « matures ». Le concept de « mineur mature » dans la loi canadienne permet aux enfants ou aux adolescents de prendre seuls certaines décisions, notamment médicales, s’ils sont jugés aptes à en comprendre les conséquences.

Malgré son opposition explicite à l’AMM, la brochure a été présentée comme un document promouvant l’extension de l’aide à mourir aux enfants par la sphère de la désinformation nord-américaine – comme sur Infowars. Face au flot de critiques qu’elle a alors suscité, l’Alliance Évangélique a été contrainte de publier un démenti. Promotion de l’AMM ou pas, cette brochure omet un important élément contextuel.

Seule sa deuxième page, qui évoque les recommandations d’un comité parlementaire canadien, a été largement diffusée (ici ou ici). Si ce comité a bien proposé d’étendre l’accès à l’AMM aux « mineurs matures », la brochure ne mentionne pas que ces recommandations n’ont pas force de loi. Le gouvernement a d’ailleurs répondu au comité en juin 2023, en soulignant l’importance de « trouver un équilibre entre l’autonomie accordée aux mineurs tout en assurant leur protection ». Depuis, rien n’indique que ces recommandations ont été prises en compte.