Le droit français n’oblige pas un député pris en flagrant délit d’achat de stupéfiants à démissionner

Andy Kerbrat, député insoumis, à l'Assemblée nationale le 19 décembre 2023 (Photo : Julien de Rosa / AFP).
Création : 28 octobre 2024

Auteur : Hugo Guguen, juriste

Relecteurs : Lili Pillot, journaliste

Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’université de Lorraine

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Le député Andy Kerbrat, pris en flagrant délit d’achat de drogues, est poussé à la démission par plusieurs personnalités politiques. Selon ces dernières, une exigence d’exemplarité pèse sur les députés. Pourtant, juridiquement, rien n’oblige le député LFI à démissionner.

Le 17 octobre 2024, le député La France insoumise (LFI) Andy Kerbrat a été arrêté à Paris en possession de stupéfiants. Il aurait acheté 1,35 g de 3-MMC, une drogue de synthèse en vogue et est poursuivi pour usage de stupéfiants.

Le député de Loire-Atlantique a reconnu les faits dans un communiqué publié le 22 octobre dans lequel il “assume entièrement” sa responsabilité et annonce se mettre “à la disposition de la justice”. L’élu de 34 ans a affirmé qu’il se “battrai[t] contre cette addiction” et a décidé de “suivre un protocole de soin” afin de “reprendre [s]on activité parlementaire”.

Cette annonce a créé un véritable clivage au sein du Parlement français. Plusieurs personnalités de gauche ont apporté leur soutien au député, comme Sandrine Rousseau, députée écologiste, qui appelle l’élu de 34 ans à ne pas démissionner puisque “les addictions sont des problèmes de santé publique”, ainsi que Jean-Luc Mélenchon qui a présenté à l’élu son “soutien très amical dans cette lutte” contre l’addiction.

En revanche, de l’autre côté de l’hémicycle, les partis politiques n’ont pas montré leur soutien à Andy Kerbrat …mais plutôt la porte !

Pour le député du Rassemblement national Sébastien Chenu, “à partir du moment où un député commet un délit […] la question [de la démission, ndlr] se pose et lui est posée”. Rebelote, le député RN Laurent Jacobelli avance qu’il a “violé la loi, et pour quelqu’un qui est censé l’écrire, c’est quand même gênant. S’il avait un peu d’honneur, il démissionnerait”.

Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a quant à lui publié sur X qu’il n’est “pas tolérable de voir un député de la République acheter des drogues de synthèse”. Il estime que l’élu LFI doit “tirer les conséquences de ses actes” car “un député a un devoir d’exemplarité”.

Mais que dit le droit à ce sujet ? Les Surligneurs font le point.

Un code déontologique qui part en fumée ?

Les députés ont-ils un devoir d’exemplarité, comme le soutient Bruno Retailleau ? À première vue, le Code de déontologie contenu à l’intérieur du Règlement de l’Assemblée nationale comprend effectivement un devoir d’exemplarité en son article 6.

Mais ce texte reste silencieux quant à la consommation de drogues. Il précise seulement  que “le harcèlement moral ou sexuel constitue une atteinte au devoir d’exemplarité”. Ce devoir d’exemplarité est par ailleurs lié au mandat et non à la vie privée. “Dans l’exercice de son mandat, chaque député doit se conformer aux principes énoncés dans le présent code et les promouvoir.”

Pour Charles-Édouard Sénac, professeur de droit public à l’université de Bordeaux, “l’obligation déontologique de dignité” des membres du gouvernement, les sénateurs ou les élus locaux”, a une portée “surtout symbolique”. “Les vertus érigées en modèle à suivre pour les responsables politiques […] concernent avant tout l’exercice des fonctions politiques et non la vie privée”, explique-t-il dans un article publié dans la revue de droit Jus Politicum.

Rien ne semble alors obliger Andy Kerbrat à démissionner. La seule responsabilité que les élus doivent assumer au regard de leur Code de déontologie est personnelle et politique. Mais qu’en est-il de la loi ?

L’impossibilité de prononcer une peine complémentaire d’inéligibilité

En droit français, il n’existe pas d’article ou de loi qui impose automatiquement la démission d’un député de l’Assemblée nationale… même en cas de condamnation pénale ! Ce qui n’est même pas le cas du député LFI, qui est toujours présumé innocent, même s’il a été arrêté en flagrant délit d’achat de drogues. Juridiquement, rien n’oblige le député Andy Kerbrat à mettre fin à ses fonctions, même s’il venait à être condamné pour ces faits.

“La loi n’exige pas qu’un député touché par cette affaire de drogue démissionne”, confirme Pascal Perrineau, professeur des Universités associé au CEVIPOF, dans un entretien accordé à Public Sénat sur une éventuelle démission de l’élu LFI.

Cela ne signifie pas pour autant que les députés sont libres de tout faire. En plus d’une peine principale, des peines d’inéligibilité peuvent être prononcées par un tribunal. En pratique, ces peines d’inéligibilité forcent le député à quitter ses fonctions, car elles entraînent la perte immédiate du mandat parlementaire.

D’abord, l’article 131-26 du Code pénal prévoit la possibilité de prononcer la peine complémentaire d’interdiction des droits civiques, civils et de famille. Parmi ces droits, figure l’éligibilité.

Mais pour que la peine puisse être prononcée par le juge, il faut qu’elle soit spécifiquement encourue pour le délit concerné. En l’espèce, le député est poursuivi pour usage de stupéfiants.

Cette infraction est prévue à l’article L. 3421-1 du Code de la santé publique. Les peines complémentaires sont prévues à l’article L.3421-7 du même code : l’interdiction des droits civiques, civils et de famille n’y figure pas.

Ensuite, l’article 131-26-2 du Code pénal permet au juge d’infliger une peine d’inéligibilité pour certaines infractions (violences, agressions sexuelles, infractions électorales, corruption…). Cet article a été ajouté par la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique. Pour les infractions listées, le juge doit prononcer la peine. S’il ne souhaite pas le faire, il faut qu’il le justifie par une décision spécialement motivée. C’est ce qu’on appelle une peine complémentaire obligatoire.

Enfin, l’article LO136-1 du Code électoral dispose que le Conseil constitutionnel peut, en cas de manquements graves, pour des infractions relatives au financement des campagnes électorales, déclarer un député inéligible.

Toutefois, l’usage de stupéfiants ne fait pas partie des infractions concernées par une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité.

 

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