Le développement de la résolution amiable des litiges : la solution pour désengorger les juridictions ?
Auteur : Paul Morris, élève-greffier, École nationale des greffes
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Le ministre de la Justice vient de vanter la création de deux nouvelles procédures amiables de résolution des litiges, espérant attirer les justiciables vers ces procédures en cours de procès et raccourcir les délais de résolution. Deux procédures qui s’ajoutent aux nombreuses autres. Explications.
L’une des ambitions du gouvernement en matière de justice est de diviser par deux les délais de résolution des litiges. Pour ce faire, outre des recrutements massifs, le gouvernement mise sur le développement du traitement amiable des litiges, comme l’a rappelé le Garde des Sceaux lors de son Discours à l’occasion du “lancement de la politique de l’amiable”, du 13 janvier 2023, et durant son dernier déplacement à la cour d’appel de Paris le 17 octobre.
Les modes amiables de règlements des litiges sont déjà présents au sein de notre arsenal juridique sous divers acronymes qui tous désignent un ou plusieurs processus permettant la résolution amiable des conflits, par opposition aux modes judiciaires : Mode Amiable de Règlement des Conflits (MARC), Mode Amiable de règlement des Différends (MARD) ou encore Mode Amiable de règlement des Litiges (MARL).
L’article 12 du Code de procédure civile prévoit même que le juge peut de son propre chef s’affranchir des règles de droit afin de statuer sur le litige qui lui est soumis “en amiable compositeur”. Ce recours aux modes amiables est également prévu, notamment, par le code de justice administrative (articles L. 213-1 et suivants) ainsi que par le Code de la commande publique (articles L. 2197-1 et suivants), à propos de certains litiges avec l’administration.
Deux nouvelles procédures amiables…
Un décret du 29 juillet 2023 vient de créer deux procédures destinées à diffuser la culture de l’amiable en cas de litige.
L’audience de règlement amiable (ARA) d’abord, a vocation à s’appliquer en cours de procès, y compris en procédure d’urgence (ou “de référé”). L’article 774-2 du Code de procédure civile précise que cette audience vise à la “résolution amiable du différend entre les parties, par la confrontation équilibrée de leurs points de vue, l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs, ainsi que la compréhension des principes juridiques applicables au litige.”
Il s’agit donc d’une audience au cours de laquelle le juge aide les parties et leurs avocats à trouver un accord qui ne soit pas forcément guidé par la stricte application de la loi. Cette audience est accordée sur demande des parties. Le juge joue alors un rôle de conciliateur et recherche avec les avocats un accord. Une fois trouvé, cet accord est alors rédigé par les avocats, puis “homologué” par le juge, c’est-à-dire rendu obligatoire avec force de jugement. Cela permet de diminuer drastiquement le temps de traitement d’une affaire, et de faire appel à des magistrats honoraires ou temporaires.
Cette procédure suspend l’instance (c’est-à-dire le procès en cours), qui reprendra en cas d’échec de la tentative d’accord. Les parties gardent ainsi leur droit au juge. L’objectif du gouvernement est ici d’amener les parties à accepter plus facilement le principe même d’un rapprochement amiable, face au juge.
Seconde procédure créée par le décret de juillet 2023 (articles 807-1 et suivants du Code de procédure civile), la césure vise à scinder le procès en deux en permettant au juge de ne trancher dans un premier temps que certains aspects du litige, afin de favoriser une résolution amiable sur les autres aspects. Le plus souvent, la césure consiste à faire trancher par le juge la question de droit qui sous-tend le litige, et une fois cette question résolue, le juge incite les parties à s’entendre entre elles sur les conséquences. La césure semble particulièrement adaptée aux actions en responsabilité et en indemnisation.
… Qui s’ajoutent à celles existant déjà
MARC, MARD, MARL, etc. regroupent la médiation, la conciliation, l’arbitrage, les accords de règlement des différends, le droit collaboratif ou encore les négociations collectives. C’est dire que les deux procédures créées en juillet 2023 ne font que s’ajouter à d’autres.
Ces modes de résolution des litiges sont plus que de simples alternatives au procès classique en ce qu’ils répondent à des besoins spécifiques des justiciables. Certaines de ces procédures, de par leur caractère extra-judiciaire, permettent aux justiciables de bénéficier d’une grande discrétion et de protéger le secret des affaires, d’autant que les conciliateurs et médiateurs sont tenus à une obligation de discrétion et de confidentialité.
Certains de ces modes de résolution permettent aussi aux justiciables de maîtriser les délais et les coûts, connus d’avance. Ainsi, dans le cas de la conciliation ou de la médiation, le délai maximum est de trois mois renouvelables une fois.
Dans tous les cas, il s’agit de faire disparaître les aléas financiers et temporels de la justice, mais aussi les aléas juridiques : une solution strictement juridique ne résout pas toujours de manière satisfaisante un litige.
Ainsi, les modes amiables constituent une alternative à la justice et non une justice alternative, en ce que les parties recherchent un accord avant tout, et pas nécessairement l’application de la justice et du droit étatiques.
Précisons que le recours à ces modes de résolution ne prive pas les parties de la possibilité de saisir le juge, comme ont pu le rappeler la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 juin 2017, C-75/16) et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 26 mars 2015, Momcilovic c. Croatie).
L’ARA et la césure connaîtront-elles le succès ?
Malgré leurs avantages, ces deux modes de résolution peinent encore à convaincre les acteurs du monde judiciaire. Cette réticence repose sur différentes raisons, et d’abord un arsenal de procédures dispersé entre différents codes.
Surtout, les ambitions du ministre de la Justice risquent de se heurter au faible nombre de médiateurs et de conciliateurs présents sur le territoire, au regard des besoins. Cette carence pousse déjà les parties qui en ont les moyens à opter pour le recours à la médiation ou à l’arbitrage payant, créant ainsi une disparité entre les justiciables selon leurs revenus.
Pourtant, l’adoption massive de ces procédures par le justiciable pourrait diviser par deux les délais de résolution des litiges. La relance de la politique de l’amiable devrait aussi s’appuyer sur une clarification des procédures, par exemple en regroupant tous les textes dans un même code, afin de diffuser une véritable culture de l’amiable auprès des différents acteurs du monde judiciaire, et ce, dès leur formation.
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