Le chanvre est-il un produit miracle pour lutter contre le réchauffement climatique et la pollution ?
Autrice : Sasha Morsli Gauthier, étudiante à Sciences Po Paris
Relectrice : Lili Pillot, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : Compte Facebook, 16 avril 2024
Des dizaines de vertus sont attribuées à cette plante sur les réseaux sociaux depuis 2022, notamment pour lutter contre le réchauffement climatique. Certaines d’entre elles sont pourtant fausses ou portent à confusion.
Le chanvre industriel, cette variété de « Cannabis Sativa« , serait-elle la solution à tous nos soucis ? C’est ce que laisse entendre un post Facebook datant du 16 avril 2024, qui présente 16 avantages à adopter le chanvre dans nos vies.
Certaines de ces affirmations ont déjà été vérifiées par nos confrères de l’AFP en 2022. Et pourtant, les défenseurs du chanvre semblent revenir en force avec de nouvelles qualités prêtées à la plante.
Il faut dire que dans un contexte d’inquiétudes croissantes face au changement climatique, le chanvre serait un remède miracle, plus respectueux de l’environnement et bon pour la santé. Ainsi, les posts fleurissent sur les réseaux sociaux et totalisent parfois plus de 900 000 vues.
Les Surligneurs ont sélectionné trois affirmations pour vérifier leur véracité.
Une efficacité comparable à celle de la forêt ?
La publication commence par une affirmation des plus surprenantes. Un hectare de chanvre libèrerait « autant d’oxygène que 25 hectares de forêt. » Dans d’autres publications Facebook, on trouve différents chiffres, mais avec toujours la même idée : le chanvre pourrait devenir un véritable poumon pour la planète, au moment où le réchauffement climatique amenuit les réserves d’oxygène de la Terre.
Et pourtant, une telle comparaison est difficile à établir. Si le phénomène de photosynthèse permet la libération d’oxygène dans l’atmosphère, il implique aussi la consommation de la quasi-totalité de cet oxygène par les végétaux et micro-organismes. Autrement dit, plus une plante produit de l’oxygène, plus celui-ci sera consommé. Ainsi, une simple comparaison des taux de production d’oxygène entre différents écosystèmes est sans intérêt.
Interrogée par Les Surligneurs, Estelle Delangle, directrice du Pôle européen du chanvre, précise qu’une comparaison des quantités de CO2 captées par les plantes est plus pertinente. Sauf que là encore, la comparaison peut être trompeuse en fonction de l’âge de la forêt. « Plus l’arbre est vieux, plus il stocke » indique-t-elle. « La forêt ne va pas du tout stocker la même quantité de carbone si elle a 20 ans ou si elle en a 150. »
Il n’empêche que d’une manière générale, chanvre et forêt captent globalement la même quantité de CO2 : « Autour de 15 tonnes de CO2 par hectare par an« , selon la spécialiste.
Un chiffre que l’on retrouve également sur le site de la Commission européenne : « Un hectare de chanvre stocke de 9 à 15 tonnes de CO2« , note l’institution qui précise qu’il ne faut que « cinq mois » au chanvre pour pousser.
Une croissance supersonique
Cette croissance rapide, c’est d’ailleurs une des nombreuses autres propriétés « magiques » du chanvre vantées sur les réseaux sociaux. À tel point que certains aimeraient remplacer les forêts. En effet, il ne faudrait que « 4 mois » pour faire pousser du chanvre contre « 20 [à] 50 ans » pour un arbre. Un argument légitimant une plantation de masse pour absorber le CO2 ? C’est malheureusement plus compliqué.
En effet, si le temps de croissance est bien autour de « quatre à six mois« comme nous l’a confirmé Bertrand Bortoloni, agriculteur et cultivateur de chanvre dans le département du Gers, il n’en reste pas moins que sa récolte demande des moyens techniques et humains bien plus contraignants que l’entretien d’une forêt.
Bien que les arbres permettent une plus grande liberté en termes d’entretien, leur croissance est beaucoup plus longue : « Elle peut prendre de 10 à 80 ans selon les espèces« , est-il écrit sur le site de l’Observatoire de la biodiversité des forêts.
Mais encore une fois, les situations sont difficilement comparables : « Un champ de chanvre est renouvelé chaque année, tandis qu’une forêt reste en place plusieurs décennies« , rappelle Nathalie Fichaux, directrice de l’interprofession du Chanvre (InterChanvre), l’instance représentative de la filière française. D’autant plus que la récolte du chanvre « perturbe le phénomène de photosynthèse et émet du CO2« , ajoute Estelle Delangle.
Pas vraiment exploitable face aux radioéléments
Autre prouesse prêtée à la plante, la « fleur de chanvre » serait « un vrai piège à rayons. » Il pourrait absorber des rayonnements provenant de substances radioactives et ainsi « nettoyer » le milieu dans lequel il est planté.
L’affirmation fait sans doute référence au phénomène de phytoremédiation, une technologie permettant de dépolluer les sols, l’eau et l’air, à l’aide de plantes capables d’absorber les polluants.
Le chanvre fait effectivement partie de ces quelque 700 espèces « hyperaccumulatrices de métaux.« Mais les preuves scientifiques manquent : « On ne dispose pas d’éléments de preuve sur l’intégralité des polluants », indique la directrice d’InterChanvre.
En effet, si la technique a été évoquée comme solution par le Commissariat à l’énergie atomique, son efficacité n’a pour l’instant jamais été prouvée pour traiter des milieux contaminés par des éléments radioactifs.
Surtout, l’exploitation du chanvre telle qu’elle existe aujourd’hui ne permettrait pas de réaliser une production sur des sols pollués au risque de mettre notre santé en péril. « Le chanvre est utilisé à des fins vestimentaires, alimentaires« , rappelle Estelle Delangle. Autant de productions à destination des hommes, qui, du fait de l’absorption de substances toxiques, pourraient se retrouver dans les produits que nous consommons.
Indépendamment de certains bienfaits reconnus au chanvre, il semble nécessaire de rester prudent quant aux vertus « magiques » vantées sur les réseaux sociaux, et parfois utilisées comme arguments de vente par des boutiques spécialisées.
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