Le candidat LFI à la mairie d’Annecy peut-il réquisitionner les logements vacants en faveur des personnes sans abri ?
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Relecteur : Vincent Doebelin, maître de conférences en droit public, docteur à l’Université de Haute-Alsace
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle, journaliste, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers
Source : Le Parisien, 8 décembre 2025
À Annecy, le candidat LFI Vincent Drême veut réquisitionner des logements vacants pour héberger les sans-abri. Mais la loi ne le permet pas : les maires ne peuvent agir qu’en cas d’urgence immédiate, et seul le préfet détient un pouvoir de réquisition durable.
À trois mois des municipales de 2026 à Annecy, Vincent Drême, tête de liste LFI, dévoile ses propositions. Il souhaite mettre une partie des 5500 logements vacants de la ville au service des personnes sans abri, « dont, en priorité, les quelque 300 Annéciens qui dorment dehors », et cela grâce à des « réquisitions » votées par le conseil municipal.
Mais, en l’état du droit, cette mesure ne pourra pas être mise en œuvre car elle serait illégale.
Les communes n’ont pas ce pouvoir
L’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales prévoit que les maires sont tenus de « prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature (…) de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure ».
Si la réquisition de logements en faveur des personnes sans abri n’est pas expressément mentionnée par ce texte, le juge reconnaît qu’un maire, sur ce fondement, peut réquisitionner un logement privé vacant pour le mettre à disposition d’une personne sans abri.
Mais cette réquisition est une mesure de police administrative, c’est-à-dire destinée à empêcher ou faire cesser un trouble à l’ordre public, ce trouble étant en l’occurrence, et par exemple, qu’une ou plusieurs personnes puissent trouver la mort en dormant dehors par grand froid.
Ainsi, lorsque le maire de Saint-Denis (93) avait réquisitionné un immeuble vacant pour y loger huit familles en mars 2009, le juge administratif avait annulé son arrêté de réquisition. Selon cette décision de 2011, indépendamment de la situation précaire des familles en question, « le maire n’était pas confronté à une situation d’urgence de trouble grave à l’ordre public telle qu’elle justifiait qu’il use ainsi de son pouvoir de réquisition pour pourvoir à l’hébergement sur place de familles ».
En d’autres termes, le pouvoir de réquisition des maires permet seulement de remédier à des situations urgentes de détresse ou de péril immédiat, et pas de résoudre la pénurie de logements de manière pérenne.
Ce pouvoir de réquisition est en outre juridiquement très encadré, et donc difficile à utiliser. D’une part, il est soumis au principe dit de « nécessité » : le juge vérifie que l’atteinte portée au droit de propriété n’aurait pas pu être évitée par d’autres solutions moins contraignantes, comme l’ouverture de gymnases ou le recours à des chambres d’hôtel. D’autre part, la réquisition doit cesser dès que la situation d’urgence disparaît : par exemple à la fin de la période de grand froid.
D’où la difficulté d’appliquer ce texte, et la rareté des réquisitions. Quant au conseil municipal, il n’a tout simplement aucun pouvoir de réquisition, ce qui ne l’empêche pas, il est vrai, de voter pour que le maire exerce ce pouvoir.
D’abord modifier la loi…
Les articles L.641-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation (CCH) permettent aux préfets – et non aux maires — de réquisitionner des logements pour une durée d’un an renouvelable en faveur notamment des « personnes dépourvues de logement ou logées dans des conditions manifestement insuffisantes » (article L. 641-2 CCH). C’est donc le préfet qui réquisitionne « après avis du maire ».
Ce pouvoir dit de « réquisition d’office », très peu utilisé, avait permis de mettre fin à l’occupation très médiatisée d’une église à Paris, avec évacuation par la force, en 1996. Le candidat LFI à la mairie d’Annecy devra donc utiliser ses relais au Parlement pour faire modifier ce texte, en faveur des maires.
… Ou passer par le préfet
Les articles L. 642-1 et suivants du CCH permettent aux préfets de pratiquer une « réquisition avec attributaire ». Cette réquisition se ferait au profit d’un organisme – qui peut être une commune, un organisme d’habitations à loyer modéré, etc., en contrat avec l’État — chargé de gérer la réquisition après travaux de mise aux normes si besoin, et de les donner à bail aux personnes dans le besoin.
Ces réquisitions sont prononcées afin d’assurer « l’hébergement d’urgence de personnes sans abri ». Selon les cas, elle peut durer jusqu’à douze ans. Cette possibilité a été ouverte aux préfets par la loi Elan du 23 novembre 2018, et elle donne lieu au paiement d’un loyer par les personnes logées, ainsi qu’à l’indemnisation des propriétaires des logements réquisitionnés.
Si les communes et intercommunalités peuvent demander au préfet de se voir confier ce pouvoir de réquisition, ce n’est que récemment qu’une métropole, celle de Rennes, en a fait la demande. Mais elle devra aussi en assumer le coût.
En effet, toute réquisition suppose indemnisation du propriétaire. Lorsque le préfet réquisitionne, l’État est censé prendre en charge ce coût au cas où la personne logée se trouve dans l’incapacité de payer un loyer. Si c’est la commune, elle devra faire de même.
