Crédits photo : Alesclar, CC 3.0

Laurent Wauquiez veut supprimer les autorités indépendantes comme l’Arcom et la CNIL, pour que la « volonté politique s’applique »

Création : 24 mai 2023

Auteur : Giovanni Chiaradia, doctorant en droit public, Université Polytechnique des Hauts-de-France

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Yeni Daimallah



Source : Le Point, 10 mai 2023, Le grand entretien

Laurent Wauquier déplore que l’exécutif ait été amputé de certains pouvoirs au profit des autorités administratives indépendantes (AAI) comme la CNIL ou l’ARCOM, et voudrait supprimer ces dernières. Problème, ces AAI tiennent pour beaucoup d’entre elles leur origine dans le droit de l’Union européenne, et les supprimer reviendrait à enfreindre le droit européen

Lors d’une interview donnée au journal Le Point, Laurent Wauquiez est revenu sur son parcours et ses idées politiques. Selon lui, la « machine française est bloquée, car les pilotes ont perdu les commandes », il estime nécessaire la suppression de la « quasi-totalité » des « autorités indépendantes », qui assurent des missions de régulation dans certains secteurs, qu’il qualifie de « monstre juridique ». Il cible dans son interview, en guise d’exemple, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (l’ANSES, qui, au passage, n’est pas une autorité indépendante) ou l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Il veut que seule « la volonté politique s’applique » et non « l‘administration qui met en œuvre sa propre logique ». Cette position n’est toutefois pas compatible avec le droit de l’Union européenne.

Qu’est-ce qu’une autorité administrative indépendante (AAI) et à quoi servent les AAI ?

Les autorités indépendantes sont des institutions de l’État créées ou reconnues directement par la loi, qui assurent des missions de contrôle et de protection dans des secteurs divers en disposant à cette fin un pouvoir d’avis ou de sanction. Contrairement aux établissements publics comme l’ANSES, le Gouvernement ne peut s’immiscer dans les actions des autorités indépendantes ni les contrôler en raison de leur statut.

Leur indépendance s’entend par rapport à l’administration : elles sont soustraites à la hiérarchie classique, parce qu’elles sont amenées à prendre des décisions dans des secteurs où l’État est souvent juge et partie : par exemple en matière de communications, d’énergie ou de transports, autant de secteurs où l’État et ses établissements publics sont en concurrence avec le secteur privé.

Certaines AAI sont rendues obligatoires par le droit européen

Wauquiez ne liste pas précisément les AAI qu’il supprimerait ou épargnerait. Il n’en demeure pas moins que la suppression de la CNIL et de l’Arcom, qu’il cite comme exemples, serait contraire au droit de l’Union européenne, qui prévoit en effet que les États membres créent des autorités de contrôle, indépendantes du pouvoir politique, dans certains secteurs.

Par exemple, le Règlement Général de Protection des Données (RGPD) énonce que « chaque État membre prévoit qu’une ou plusieurs autorités publiques indépendantes sont chargées de surveiller l’application du présent règlement« . Depuis la loi du 20 juin 2018, cette autorité est la CNIL : contrôle la mise en œuvre du RGPD au sein du territoire national. Supprimer la CNIL pose donc problème, car cela enfreindrait le RGPD. D’autant que cette AAI remplit toute une série de missions en vertu de l’article 57 de ce même RGPD, en particulier la protection des données personnelles des utilisateurs d’Internet. La CNIL doit ainsi conseiller les opérateurs informatiques ou organiser le contrôle et l’analyse des opérations de traitement des données des internautes. Pour réaliser ces missions, l’article 58 du RGPD exige que la CNIL soit dotée de nombreux pouvoirs d’enquête, d’injonction et de sanction contre les opérateurs. Ces missions et pouvoirs ne peuvent, sans contrevenir au RGPD, revenir à l’administration classique ou à un de ses établissements publics, ces derniers n’ayant aucune garantie d’indépendance équivalente à celle des AAI.

Concernant l’Arcom, la problématique est similaire. L’article 30 de la directive du 14 novembre 2018, révisant la directive dite « Services de médias audiovisuels »  (SMA), impose aux États membres de désigner une autorité indépendante assurant une mission de régulation au sein du secteur audiovisuel. À nouveau, supprimer l’Arcom ou restreindre ses pouvoirs d’action, nécessaires pour assurer sa mission de régulation, serait contraire au droit de l’Union.

Supprimer ces AAI revient à revenir sur le modèle économique résultant des normes européennes.

D’autres autorités indépendantes, que Laurent Wauquiez semble avoir dans son viseur, tiennent leur fondement juridique du droit européen. Ainsi, l’article 55 de la directive dite « Refonte » du 21 novembre 2012 prévoit que « chaque État membre institue un organisme de contrôle national unique du secteur ferroviaire ». Élargi à l’ensemble du secteur des transports depuis, cet organisme de régulation est actuellement l’Autorité  de Régulation des Transports (ART). Il en est de même pour la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) puisque l’article 35 de la directive du 13 juillet 2009 dite “3e paquet énergie” prévoit également que « chaque État membre désigne une seule autorité de régulation nationale au niveau national ». La régulation de la concurrence économique (autrement le contrôle et la sanction des comportements anticoncurrentiels de la part des entreprises), fonction réalisée par l’Autorité de la concurrence, est également prévue par le règlement européen du 16 décembre 2002

Laurent Wauquiez a donc précisément choisi comme exemples des AAI que la France ne peut supprimer sans aller à l’encontre du droit européen ou sans obtenir une modification de celui-ci. Bien d’autres AAI sont concernées. La création d’AAI n’est pas un phénomène “archaïque” comme il le prétend, mais, au contraire, un phénomène qui s’est considérablement développé récemment sur l’ensemble du territoire européen par le biais du droit de l’Union et pour lequel la France a joué le rôle de précurseur. Revenir sur cette évolution ne sera pas chose facile : juridiquement, c’est évidemment envisageable, mais, car cela implique de revenir sur un modèle économique basé sur la libre concurrence et le pluralisme.

Contacté, Laurent Wauquiez n’a pas répondu à notre sollicitation.

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