Laurent Wauquiez : « On doit s’orienter vers une interdiction des grèves au moment des périodes de vacances scolaires »
Dernière modification : 28 février 2024
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, Université de Nantes
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : BFM Lyon, 15 février 2024
Réclamer une interdiction des grèves les jours de départs en vacances ne tient pas face à la Constitution qui rend le droit de grève constitutionnel. Mais réclamer une limitation du droit de grève pour ménager les droits constitutionnels de voyageurs, cela pourrait passer sur le plan juridique, moins sur le plan social !
Les propositions pleuvent pour soulager la vie des voyageurs face aux incessantes grèves à la SNCF, en particulier lorsqu’elles se produisent durant des périodes de départs en vacances. On se souvient de la proposition de la députée Véronique Besse tendant à ce que “toute grève [soit] interdite dans le secteur des transports les veilles de vacances scolaires, durant les vacances scolaires et les jours fériés”. C’était il y a un an. Nous avions à l’époque estimé que cette proposition censée se traduire en loi, opposant le droit de grève au droit aux vacances, ne franchirait pas le cap du Conseil constitutionnel : ce dernier ne reconnaît aucune valeur constitutionnelle au droit aux vacances, alors que le droit de grève est clairement inscrit dans la Constitution (préambule de 1946, alinéa 7).
Depuis, les esprits semblent avoir évolué. La propostion de Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne Rhône-Alpes (LR), tend à la même interdiction pure et simple, et cela paraît toujours contraire à la Constitution. En revanche, les exemples avancés à l’étranger vont dans le sens d’une solution intermédiaire.
L’exemple italien
Les exemples étrangers de limitation du droit de grève durant certains périodes sont avancés, avec en particulier l’Italie. Pagella Politica, média de fact-checking italien, nous a éclairés sur ce point. La loi n° 146 du 12 juin 1990 (articles 1er et 2), prévoit que pour les services publics essentiels, le droit de grève doit être concilié avec notamment la liberté de circuler (libertà di circolazione). Cette législation vaut pour tous les transports publics quel que soit le mode, et impose une négociation collective entre patronat et organisations salariales pour maintenir le continuité des services publics (continuità dei servizi pubblici), sous le contrôle d’une Commission de garantie étatique, et sous la menace de sanctions disciplinaires pour les agents en infraction (article 4). Il est même prévu une amende pour les organisations syndicales ne se conformant pas à la loi (article 4.2). La Cour de cassation italienne (05 octobre 1998, n. 9876), interprète cette loi comme s’appliquant aux transports lors des évènements de grande importance sociale (fêtes nationales, Noël, Pâques, et même les jours d’élections).
Mais il ne s’agit aucunement d’une interdiction de la grève, au mieux d’un service minimum, qui résulte de la conciliation entre droit de grève et liberté d’aller et venir.
Ce service minimum restreignant le droit de grève est également prévu en Hongrie, en Lettonie et dans certains cas au Danemark, selon nos confrères des médias hongrois Lakmusz, letton Re:Baltica et danois Tjekdet.
Exemple transposable en France ?
Les récentes tentatives de restreindre le droit de grève ne s’appuient pas sur un hypothétique droit aux vacances (d’autant qu’une large proportion de Français ne partent pas durant les vacances de février), mais sur le fondement du principe de continuité du service public, qui est également de nature constitutionnelle. Le préambule de la Constitution de 1946 précise d’ailleurs que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent« , ce qui confère au législateur une légitimité pour apporter des limitations au droit de grève, comme c’est le cas pour la police et les magistrats par exemple.
Ainsi, une proposition de loi des sénateurs centristes du 14 février 2024 comporte un exposé des motifs très circonstancié (c’est-à-dire une explication des objectifs de la loi proposée) : « Parmi les droits que peuvent plus spécifiquement invoquer les usagers du service public des transports de voyageurs, figurent sans doute le droit à la santé et à la sécurité, le droit au travail ou la liberté de circulation. On peut sans doute aussi citer les droits économiques comme la liberté d’entreprendre« . Et d’ajouter « La conciliation entre des principes et des droits fondamentaux doit donc toujours se résoudre sur la base d’un compromis proportionné, soumis au contrôle du juge« . En somme, non pas une interdiction de la grève, mais une limitation.
Le Conseil constitutionnel considère de son côté, dans une décision du 28 juillet 1979, que si le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle, « il a des limites« . Le préambule de 1946 a « habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte » ; Il appartient donc au « législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle (…) ces limitations peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays« .
On ne peut faire plus clair : c’est au législateur d’arbitrer entre les droits ou les libertés, et le Conseil constitutionnel ne censurerait que les disproportions manifestes, par exemple une interdiction si extensive des grèves qu’elle en viendrait, en pratique, à les priver de tout effet.
Ainsi, une limitation à l’italienne du droit de grève, s’appliquant à certaines circonstances et certaines dates bien circonscrites et reconnues d’intérêt général suffisant, ne serait pas forcément contraire à la Constitution.
Reste à imaginer les modalités : service minimum, réquisitions, interdictions partielles, etc…
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