Laurent Wauquiez (LR) veut supprimer les aides régionales pour les “délinquants multirécidivistes”
Dernière modification : 22 juin 2022
Auteur : Amaury Bousquet, avocat au barreau de Paris
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit, Université Paris-Saclay
Source : France 3 Auvergne Rhône-Alpes, 25 mai 2021
Sauf à modifier les textes, rien ne permet de supprimer une aide de la région à un délinquant, même récidiviste. En plus, les présidents de région non seulement n’ont pas accès aux casiers judiciaires des personnes, mais ils n’ont pas non plus vocation à remplacer le juge pénal.
Laurent Wauquiez – qui n’est pas le premier à évoquer cette possibilité – a proposé de supprimer les aides régionales aux « délinquants multirécidivistes« , qu’ils soient majeurs ou pas, “sur proposition des maires concernés”. Le problème est qu’en tant que président de région, il n’a que très peu de marge de manœuvre sur ces aides, et surtout aucun accès aux casiers judiciaires des bénéficiaires d’aides.
Certaines aides régionales sont rendues obligatoires par la loi, sans condition de casier
C’est par exemple le cas des aides à la formation professionnelle. L’article L. 214-13 du Code de l’éducation prévoit que la région établit un “plan de développement des formations” qui a pour objet d’assurer “un développement cohérent de l’ensemble des filières de formation en favorisant un accès équilibré des femmes et des hommes à chacune de ces filières de formation”. Ce plan fixe donc un cadre général de formation, puis un programme de formations en fonction de priorités liées notamment au marché du travail.
S’il n’est interdit nulle part pour une région de refuser une formation à un délinquant, l’objectif de la loi est d’aider à l’insertion dans le monde du travail, et pas de contribuer à la répression pénale. D’autant que ce programme de formations fait l’objet de conventions d’application entre la région et l’État ou les rectorats, mais aussi entre les régions et des organismes professionnels tels que chambres de commerce, d’agriculture ou des métiers : c’est donc une compétence partagée, et ni les préfets ni les recteurs, ni les chambres de commerce ne sont compétents pour punir les délinquants.
Les aides facultatives laissent plus de marge aux régions. Pour autant…
Aucun texte ne rend obligatoire la gratuité des manuels scolaires, mais la plupart des régions, sinon toutes, ont pris en charge les manuels des lycéens. Peut-on priver de cette aide un élève délinquant ? Ce serait créer une différence de traitement entre élèves, et ce n’est pas interdit en soi. Pour la cantine par exemple, les tarifs peuvent varier selon les ressources des parents. Mais cette différence de traitement est cohérente avec l’objectif de la cantine, qui est d’offrir à tous au moins un repas complet par jour. Reste donc à savoir si un juge trouverait cohérent d’exclure un élève délinquant de la gratuité des manuels scolaires, par rapport à l’objectif de cette gratuité qui est de lutter contre les exclusions sociales en favorisant l’apprentissage. A vrai dire nous ne le croyons pas.
De façon plus générale, il ne peut être fait de différences entre les usagers du service public, qui ne soient pas en rapport avec l’objet même de ce service, comme cela a été déjà jugé en 2003, à propos d’un cas proche : le maire de Béziers entendait subordonner les aides apportées par les communes aux familles, à “l’attitude citoyenne” des enfants de ces familles. Pour le juge, “l’attitude citoyenne ne peut constituer une différence de situation objective entre les bénéficiaires potentiels des aides de secours d’urgence qui ont pour objet de secourir les personnes en détresse”.
Mais ce n’est pas tout : comment un président de région peut-il savoir qu’un jeune est “délinquant”, et en plus “multirécidiviste” ?
La région n’a pas accès au casier judiciaire des personnes condamnées
En pratique, il faudrait que la région ait connaissance de la situation pénale des individus concernés, en ayant accès au casier judiciaire de ces derniers.
Le casier judiciaire est un fichier informatisé dans lequel sont inscrites les condamnations pénales prononcées à l’encontre d’un individu.
Compte tenu de la sensibilité des données qu’il contient, le casier n’est délivré qu’aux autorités judiciaires. Par exception, il peut aussi être délivré à certains organismes pour des motifs précis (dans le cadre de l’examen d’une candidature à un emploi public, d’une procédure d’asile ou d’une demande d’adoption, etc.). Actuellement, la région n’a pas accès au casier des bénéficiaires d’aides. Il faudrait donc modifier la loi pour le prévoir.
Enfin, les régions n’ont pas de compétence en matière de répression pénale.
Les infractions pénales sont réprimées par les juridictions… pénales
La proposition de M. Wauquiez manque de précision. Elle n’indique pas si toutes les personnes condamnées seraient exclues du bénéfice des aides de la région , ou seulement celles condamnées pour des faits graves ; elle n’indique pas davantage si elle vise les personnes condamnées et actuellement incarcérées (la loi prévoit déjà que le versement du RSA aux personnes détenues est suspendu pendant la durée de l’incarcération) ou les personnes condamnées mais ayant purgé leur peine.
En dehors du fait que la prévention de la délinquance est une compétence de l’État (via les préfets et les procureurs) et des communes (et non des régions), les infractions pénales sont poursuivies et réprimées devant les juridictions… pénales. Si ces dernières constatent l’existence d’une infraction, alors elles condamnent l’auteur et prononcent une peine à son encontre. Les juges doivent à cette occasion individualiser la peine et tenir compte de la nature de l’infraction, du profil de l’auteur, de ses possibilités de réinsertion et d’ éventuelles condamnations antérieures. En cas de récidive, la loi prévoit une aggravation de la peine susceptible d’être prononcée.
Ici, la proposition de M. Wauquiez d’exclure un individu du bénéfice des aides de la région, au motif qu’il a fait l’objet d’une condamnation pénale, s’apparenterait à une “double peine”, qui viendrait s’ajouter à celle prononcée par la juridiction pénale. Cela contreviendrait au principe ne bis in idem selon lequel on ne peut pas être sanctionné deux fois pour le même fait.
Cette proposition s’opposerait en outre au droit à l’oubli dont bénéficient les personnes condamnées par une juridiction pénale, une fois leur peine purgée.
Contacté, Laurent Wauquiez n’a pas répondu à nos solicitations.
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