Laurent Wauquiez : « Le Conseil constitutionnel invente un droit des étrangers à bénéficier de la solidarité nationale sans limitation possible »
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Relecteurs: Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers
Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : Compte X de Laurent Wauquiez, 11 avril 2024
Le droit des étrangers de bénéficier des prestations sociales découle bien de la Constitution, mais il n’est pas sans limites, et peut être restreint pour des motifs d’ordre public. Ce qu’a sanctionné le Conseil constitutionnel, c’est le fait qu’au nom de l’ordre public, la proposition de référendum restreignait trop le principe de solidarité.
Le 11 avril dernier, le Conseil constitutionnel a rendu une décision très attendue sur la proposition de référendum d’initiative partagée (RIP) des Républicains (LR). Pour rappel, le RIP, prévu à l’article 11 de la Constitution, est un mode d’adoption de lois par référendum. Il doit être proposé par un cinquième des parlementaires, puis être soutenu par 10% des électeurs français avant que le référendum n’ait lieu. Mais avant d’être soutenue par les élécteurs, la proposition doit être contrôlée par le Conseil constitutionnel. Le Conseil décide si le RIP relève d’un des thèmes concernés par l’article 11, puis si les dispositions proposées sont constitutionnelles.
En l’occurrence, le Conseil a rejeté la proposition de RIP, jugeant les dispositions que les Républicains entendaient soumettre au référendum étaient inconstitutionnelles. Laurent Wauquiez, président LR de la région Auverge-Rhône-Alpes, a critiqué cette décision en la qualifiant de « coup d’État de droit. » Il a ajouté que le Conseil avait inventé « un droit des étrangers à bénéficier de la solidarité nationale sans limitation possible. » Ce qui, à la lecture de la décision, est faux.
La conciliation entre la solidarité nationale et l’ordre public
La proposition de RIP prévoyait de restreindre l’allocation de certaines prestations sociales aux étrangers, en augmentant les durées de résidence en France permettant d’en bénéficier, aussi bien pour les étrangers actifs que ceux qui ne travaillent pas. Le Conseil précise d’emblée que la loi, qu’elle émane du Parlement ou d’un référendum législatif, doit respecter une exigence constitutionnelle prévue par le Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Une politique de solidarité nationale doit donc être mise en oeuvre pour les personnes défavorisées résidant sur le territoire français, quelle que soit leur nationalité.
Le Conseil constitutionnel précise toutefois que cette exigence ne fait pas obstacle à des restrictions, comme, justement, la nécessité de résider sur le territoire français ou de travailler depuis un certain temps pour bénéficier des aides sociales. Le Conseil n’a donc pas inventé « un droit des étrangers à bénéficier de la solidarité nationale sans limitation possible« , puisque précisément il a admis des limites.
Dans le cas présent toutefois, le Conseil a rejeté la proposition de RIP, au motif que celle-ci prévoit des restrictions trop importantes et qui porteraient une atteinte disproportionnée à l’exigence de solidarité nationale.
Le Conseil admet ainsi que les étrangers puissent être traités différemment des Français pour des raison d’ordre public, car « la sauvegarde de l’ordre public (…) constitue un objectif de valeur constitutionnelle. » Donc, comme toujours, le législateur doit concilier deux impératifs constitutionnels (ordre public et solidarité nationale), et non en supprimer un au profit de l’autre.
Un rejet du RIP uniquement sur le fond
Soulignons que le Conseil n’a rejeté la proposition de RIP que sur le fond, sur les motifs que l’on vient d’exposer. Ce qui signifie que si les dispositions proposées étaient inconstitutionnelles, elles entraient bien dans le champ d’application de l’article 11, au sens où la politique d’aide sociale aux étrangers relève bien de la politique sociale de la Nation. Le Conseil apporte donc la réponse que nous avions laissée en suspens en surlignant Boris Vallaud, et confirme les thèses développées à ce sujet par le RN. Libre aux députés LR de retenter leur chance, en assouplissant les restrictions qu’ils proposaient.
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