L’ARCOM essuie un revers judiciaire dans son combat pour le blocage des sites pornographiques qui ne contrôlent pas suffisamment l’accès des mineurs
Auteur : Vincent Arnaud, juriste
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Yeni Daimallah
Ce mardi 6 septembre, le tribunal judiciaire de Paris n’a pas ordonné le blocage de cinq sites pornographiques majeurs, un blocage réclamé depuis des mois par l’ARCOM.
Cela fait depuis décembre 2021 que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, alors CSA et désormais ARCOM tente de forcer cinq sites pornographiques majeurs – Pornhub, Xhamster, Youporn, Xvideos et Xnxx –, à respecter leur obligation d’empêcher l’exposition de leur contenu aux mineurs. Ce mardi 6 septembre, c’est le tribunal judiciaire de Paris qui examinait la demande de l’ARCOM de bloquer ces sites, à défaut de les amener à respecter la loi.
Que dit la loi sur la protection des mineurs ?
Dans un chapitre relatif à la protection des mineurs, la loi du 30 juillet 2020 donne le droit au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, désormais ARCOM) de saisir le tribunal judiciaire de Paris en cas de non-respect des nouvelles règles visant à empêcher l’accès de mineurs à des contenus pornographiques.
Visiblement, malgré une injonction exprès insérée dans le Code pénal par cette même loi précisant que la simple déclaration « j’ai moins de 18 ans » ne suffit plus, certains ont décidé de continuer leurs activités sans prendre en compte la démocratisation de l’accès individuel à internet. De plus en plus de mineurs ont accès à des contenus qui, s’ils sont bien légaux, ne doivent pas selon la loi se retrouver sous les yeux de mineurs.
Le Code pénal exige des mesures visant à empêcher l’accès des mineurs à du contenu pornographique, précisant que le message jusqu’alors utilisé par les sites pornographiques ne suffit plus. La totale ignorance de ce texte par les sites visés impose à la justice de prendre une décision sur cette situation.
Pour les sites incriminés, contrôler l’accès des mineurs pour porter atteinte aux données personnelles
Utilisant l’argument de la protection des données personnelles, les sites visés expliquent que cette protection des mineurs serait bien trop invasive avec un système de vérification fiable de l’âge. En effet, ces systèmes impliquent souvent la communication par les utilisateurs de documents d’identité très sensibles en matière de protection des données personnelles.
La justice est donc confrontée à un équilibre délicat, devant choisir entre protection des données personnelles et protection des droits de l’enfant, entre risque d’atteinte aux libertés et potentielle mise en danger de l’enfance.
Mardi 6 septembre, le tribunal judiciaire de Paris a proposé une médiation, c’est-à-dire l’intervention d’un tiers neutre dont la mission sera de résoudre le différend en dehors des tribunaux. En tant que procédure volontaire et non contraignante, la médiation peut cependant être interrompue à tout moment, autant par les parties que par le médiateur. Vivement critiquée par l’ARCOM, cette décision devrait largement retarder le jour d’une décision concrète et finale. L’argument principalement avancé, on l’a vu, est celui de l’impossibilité à trouver une solution technique efficace mais également celui d’une absence de consensus de la part des autorités pour donner des consignes claires. Pourtant, la consigne donnée par la loi du 30 juillet 2020 est très claire : le bouton « plus de 18 ans » ne suffit plus, or c’est encore ainsi que les sites en cause réalisent leurs contrôles, alors que chaque mois, 2 millions de mineurs sont exposés à du contenu pornographique.
Dans un même temps, face aux attaques de l’ARCOM, l’une des sociétés éditant l’un des sites mis en cause (Pornhub) a déposé une question prioritaire de constitutionnalité afin d’examiner la légitimité de l’ARCOM à demander le blocage des sites. Si cette question va au bout de la procédure, qui est encore longue, la décision rendue par le Conseil constitutionnel pourrait régler définitivement la question et selon sa position, l’ARCOM pourrait voir sa capacité à agir confortée, ou au contraire être grandement réduite.
Au terme de la procédure, la justice pourrait ordonner que les fournisseurs d’accès à internet bloquent l’accès à ces sites sur le territoire français. Ces sites existeront toujours mais il faudra désormais utiliser un VPN, réseau privé virtuel, permettant à leurs utilisateurs de contourner les restrictions territoriales en faisant croire au système que l’on se trouve à un autre endroit. Il y a donc une manière de contourner une telle sanction certes mais l’immense majorité des VPN sont payants et sont bien plus difficiles d’accès que les sites pornographiques dont il est ici question. Concernant les mineurs donc, cette solution semblerait efficace, mais au détriment des personnes majeures : sur le seul mois de juin, selon le site d’analyse Semrush, les cinq sites visés ont totalisé plus de 750 millions de visites.
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