L’ananas a-t-il une influence sur la fertilité des femmes ?
Auteur : Nicolas Turcev, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clarisse Le Naour, double cursus L3 science politique et L3 droit public à l’université Lumière Lyon II
Source : Compte Facebook, le 24 janvier 2025
La consommation de ce fruit exotique est recommandée sur les réseaux sociaux pour favoriser les grossesses, mais aussi comme méthode contraceptive chez la femme. Aucune étude scientifique ne corrobore ces affirmations.
L’ananas peut-il réguler la fertilité des femmes ? À en croire de nombreuses publications sur les réseaux sociaux, la consommation de ce fruit riche en vitamines et en fibres pourrait aussi bien favoriser les grossesses que les empêcher. Mais à ce jour, aucune étude scientifique n’a démontré l’influence de l’ananas sur la procréation. Les Surligneurs font le point sur ces rumeurs avec deux professeures spécialistes de la fertilité.
Une enzyme sans incidence sur la fertilité
Plusieurs internautes affirment que l’ananas, et plus spécifiquement le jus préparé à partir de son noyau, s’il est consommé au moment de l’ovulation, « stimule l’ovulation » et ainsi « augmente les chances d’implantation et de grossesse réussies ». Une enzyme contenue dans l’ananas, la bromélaïne, serait la source de ces bienfaits, en raison de son effet anti-inflammatoire.
« Comme l’embryon est une sorte de corps étranger et qu’il faut toujours une période pour qu’il s’implante, on peut voir le rapprochement » avec cette caractéristique de la bromélaïne, explique Florence Boitrelle, professeure des universités, spécialiste de la biologie de la reproduction.
Certaines études, consacrées notamment à l’endométriose, relient des inflammations de l’appareil reproductif à une hausse de l’infertilité. Mais en réalité, « la bromélaïne n’est pas connue pour jouer sur la fertilité, il n’y aucun gain ou non-gain. Sinon, on prescrirait des anti-inflammatoires à tout le monde », affirme Florence Boitrelle.
Une méta-analyse publiée en 2024 consacrée aux propriétés de la bromélaïne et portant sur plus de 200 références scientifiques ne mentionne aucune incidence de l’enzyme sur la reproduction. « Les études montrent effectivement qu’il existe un effet anti-inflammatoire contre le stress oxydatif [une forme d’agression cellulaire, ndlr] et d’autres effets contre le diabète, l’asthme, les arthrites, etc., mais elles ne disent rien sur l’amélioration de la fertilité », décrypte Micheline Misrahi-Abadou, professeure à l’université Paris-Saclay, spécialiste de la santé reproductive des femmes.
Un contraceptif naturel ?
À l’inverse, d’autres publications relayées sur les réseaux sociaux affirment que l’ananas serait un « contraceptif naturel ». Mais cette théorie ne convainc pas plus les spécialistes, malgré de timides travaux exploratoires consacrés à la question.
« Selon un article de 2016, l’extrait d’ananas produirait une contraction du myomètre [la couche intermédiaire de la paroi utérine, ndlr] du rat et du myomètre humain. Cette réaction serait due aux composés sérotoninergiques [qui agissent sur le système nerveux, ndlr] de l’extrait d’ananas et provoquerait des effets utérotoniques [qui augmentent la tonicité des muscles de l’utérus, ndlr] », explique Micheline Misrahi-Abadou.
Autrement dit, selon cette étude, l’ananas pourrait favoriser la contraction de l’utérus et donc l’avortement. Mais la spécialiste se veut très prudente : « Ces expériences ont été menées in vitro [c’est-à-dire en laboratoire, sur des cellules, ndlr], on ne connaît pas les dosages, et les résultats ont été publiés dans une revue de faible qualité. Sans compter que, depuis 2016, l’effet utérotonique aurait pu être confirmé chez l’humain. Cela n’a pas été le cas. »
En 2019, une autre équipe de chercheurs a, elle aussi, observé la contraction de cellules de l’utérus du rat à la suite d’une administration de jus d’ananas in vitro. Mais le nectar n’a provoqué aucun avortement chez les rates enceintes étudiées. « De toute façon, le rat ne réagit pas comme l’humain », évacue Micheline Misrahi-Abadou. En somme, sur le plan scientifique, « il n’y a rien de valable » qui prouve que l’ananas a un effet contraceptif, affirme la chercheuse.
En dépit de l’état des connaissances, certaines publications vantant les mérites de l’ananas comme contraceptif vont jusqu’à recommander des injections vaginales de son jus pour prévenir la grossesse. Il faut pourtant rappeler que « les introductions vaginales de n’importe quel liquide qui n’est pas stérile sont dangereuses, avertit Florence Boitrelle. Cela peut abîmer la flore vaginale. »
D’où provient l’idée que la consommation d’ananas agirait sur la fertilité des femmes ? Plusieurs études notent que le fruit fait partie d’un ensemble de plantes utilisées comme substances abortives par la communauté Mannan qui vit dans les forêts de l’État de Kerala, en Inde. Cette méthode a également été observée en Mauritanie et au Sri Lanka, d’après un rapport de l’Organisation mondiale de la santé. Mais aussi au Bangladesh. Autant de pays qui interdisent ou restreignent drastiquement le droit à l’avortement.