L’Alabama exécute un homme par inhalation d’azote : la communauté internationale dénonce un “acte de torture”

Crédits : Fry1989, CC 3.0
Création : 30 janvier 2024

Autrices : Chloé Fisson et Fanny Geiger, master droit des libertés à l’Université de Caen

Relectrice : Amandine Cayol, maître de conférences en droit privé à l’Université de Caen

Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier

Employée le 25 janvier 2024 par les autorités de l’Alabama, la méthode de l’inhalation d’azote pour exécuter un condamné à mort a indigné la communauté internationale. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a déclaré qu’il s’agissait d’un acte de torture. L’occasion de rappeler les critères de l’acte de torture.

25 janvier 2024, Alabama (États-Unis), Kenneth E. Smith est exécuté par inhalation d’azote. Cette méthode a provoqué sa mort par asphyxie 29 minutes après le début de l’exécution. Ce procédé inédit est dénoncé par la communauté internationale et notamment par l’Organisation des Nations Unies (ONU), qui le qualifie “d’acte de torture” (Déclaration du Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme).

QU’EST CE QU’UN “ACTE DE TORTURE” EN DROIT ?

D’après l’article 1er de la Convention contre la torture du 10 décembre 1984 (ONU, entrée en vigueur en 1987), la torture peut se définir comme “tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment […] de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis […] lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel.

De cette définition peuvent être dégagés quatre critères concernant l’acte : il doit causer une souffrance importante ; il doit être intentionnel ; il doit être commis dans une finalité particulière, notamment celle de punir ; enfin, il doit émaner d’une autorité publique.

Les États-Unis sont liés par cette Convention depuis le 21 octobre 1994. Dans tous les cas, cette prohibition de la torture étant reprise par toutes les conventions internationales de protection, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a rappelé en 2012 qu’il s’agissait d’une norme de jus cogens, autrement dit, d’une règle à laquelle les États ne peuvent pas déroger.

APPLICATION À L’AFFAIRE KENNETH E. SMITH

Afin de déterminer s’il s’agissait bien d’un acte de torture, il faut appliquer les quatre critères de la définition. L’exécution par asphyxie à l’azote a été opérée par les autorités de l’Alabama. Il s’agissait donc d’un acte intentionnel réalisé par des autorités publiques. Il est également établi que cet acte a provoqué une souffrance importante puisqu’il a été rapporté que K. E. Smith s’est débattu plusieurs minutes pour respirer. Quant à la finalité de l’acte, elle était bien de punir puisqu’il s’agissait d’une sanction pénale prononcée en raison de l’assassinat commis par K. E. Smith en 1988.

Toutefois, la Convention contre la torture énonce une exception importante (paragraphe 1er, article 1er, dernière phrase) : la torture “ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.” Or, si le droit à la vie est un droit indérogeable et protégé par toutes les conventions de droits humains, la peine de mort est une exception admise lorsqu’elle est prononcée par une autorité légalement constituée, ce qui est évidemment le cas dans l’affaire K.E. Smith. Il y a donc légitimité au sens que la sanction est conforme à la loi. Les critiques n’ont ainsi pas porté sur la légitimité du prononcé de la peine de mort, mais bien sur la méthode employée.

INDIGNATION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE 

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, avait demandé à l’Alabama de ne pas exécuter K. E. Smith lors d’une conférence de presse donnée le 16 janvier 2024 (soit neuf jours avant son exécution). Il mettait notamment en avant le fait que cette pratique n’avait jamais été testée sur des humains auparavant, mais seulement sur des animaux sous sédatifs.

Il était aussi possible d’invoquer l’article 7 du Pacte International relatif aux Droits civils et politiques (ONU, 1966), auquel sont parties les États-Unis, selon lequel  : “Nul ne sera soumis à la torture […]. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique.” Cet article fait ainsi écho à la critique émise par V. Türk.

En procédant à l’exécution du 25 janvier 2024, l’État d’Alabama est passé outre les demandes du Haut-Commissaire (ce qui ne constitue pas une violation du droit international puisque ces demandes sont des recommandations qui n’obligent pas les États). V. Türk a réagi, “regrettant profondément cette exécution […], alors que l’on craint sérieusement que cette méthode nouvelle et non testée d’asphyxie par l’azote gazeux s’apparente à de la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant.”

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