L’affaire dite des « écoutes » de l’ancien président Sarkozy : focus sur l’infraction de « trafic d’influence »
Auteur : Amine Ouajjid, master de droit pénal et politiques criminelles, Université Paris-Nanterre
Relecteur : Audrey Darsonville, professeure de droit pénal, Université Paris-Nanterre
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Yeni Daimallah
Le trafic d’influence est un délit complexe car d’une part il peut être actif ou passif. D’autre part, il n’y a pas besoin que l’influence ait fonctionné pour qu’il y ait délit. Il faut simplement un accord entre deux personnes pour en influencer une troisième au profit de l’une d’entre elles.
L’affaire dite des « écoutes » mettant en cause Nicolas Sarkozy, a été au centre des débats ces dernières années. Après une première condamnation de l’ancien président, de son avocat, Thierry Herzog, et du magistrat, Gilbert Azibert pour corruption et trafic d’influence, ceux-ci ont fait appel de cette décision et ont été rejugés le 5 décembre 2022. La cour d’appel de Paris rendra sa décision le 17 mai 2023.
Les grandes figures politiques sont souvent concernées par ces infractions, et notamment celle de trafic d’influence qui nécessite un éclaircissement.
UNE RELATION TRIANGULAIRE
Le trafic d’influence suppose une relation entre trois individus : 1/ une première personne qui souhaite obtenir une décision favorable; 2/ une deuxième personne sollicitée par la première, qui fera office d’intermédiaire en usant de son influence ; 3/ une troisième personne contactée par la seconde, et qui dispose du pouvoir de rendre la décision favorable aux intérêts de la première.
Dans l’affaire dite des « écoutes« , si les faits sont retenus par la juridiction d’appel, le schéma aurait été le suivant : Nicolas Sarkozy aurait proposé à Gilbert Azibert de lui obtenir un poste au Conseil d’État de Monaco. En échange, Gilbert Azibert, magistrat général près la Cour de cassation, devait obtenir des informations dans une procédure de cassation en cours et influer sur cette décision pour qu’elle soit favorable à Nicolas Sarkozy. La relation triangulaire est ici présente entre Nicolas Sarkozy (pour lequel l’influence serait réalisée), Gilbert Azibert (qui aurait usé de son influence) et les magistrats de la Cour de cassation (auprès desquels l’influence de Gilbert Azibert serait opérée).
Cette relation triangulaire n’est toutefois pas suffisante, car d’autres conditions doivent être réunies pour caractériser le trafic d’influence.
Trafic d’influence passif, trafic d’influence actif
Il existe deux délits de trafic d’influence : le trafic d’influence actif et le trafic d’influence passif. Ces deux infractions visent à réprimer tant la personne qui usera de son influence (passif) que celle pour qui l’influence sera réalisée (actif).
Selon le Code pénal, seuls les agents publics et, notamment, les magistrats peuvent se rendre coupables de trafic d’influence passif, tandis que « quiconque » pourra se voir reprocher un trafic d’influence actif.
Ainsi, bien que la relation soit triangulaire, seules deux personnes peuvent se rendre coupables de trafic d’influence : 1/ Nicolas Sarkozy pour trafic d’influence actif ; il entre dans le “quiconque”, bien que chef de l’État à l’époque, et c’est à son profit que l’influence est exercée ; 2/ Gilbert Azibert qui se serait rendu coupable de trafic d’influence passif (magistrat qui usera de son influence). La troisième personne, celle qui aura agi sous influence, n’est pas condamnable.
Finalement, s’il faut avoir une fonction particulière (exigée par le Code pénal) pour se rendre coupable de trafic d’influence passif, tout un chacun pourra être condamné pour trafic d’influence actif.
L’influence se monnaye dans un accord
Le trafic d’influence consiste, pour l’agent public, à solliciter ou à accepter un avantage, de la part d’une personne, en échange de son influence « réelle ou supposée » afin d’obtenir une décision favorable auprès d’une autorité ou d’une administration publique.
La contrepartie à l’abus d’influence est alors fondamentale. Les textes relatifs aux deux délits visent « des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques ». Cet avantage sera destiné à favoriser ou à récompenser l’agent public de son abus d’influence.
Nicolas Sarkozy, en échange de l’influence de Gilbert Azibert sur la décision de la procédure pendante devant la Cour de cassation, se serait engagé à lui obtenir un poste au sein du Conseil d’Etat de la principauté monégasque, un poste aussi prestigieux que bien rémunéré. Cet accord suffit à caractériser l’infraction, peu importe ensuite que Gilbert Azibert ait réellement usé ou non de son influence ou que Nicolas Sarkozy ait pu ou non lui obtenir le poste qu’il lui avait promis. Peu importe en somme le résultat en somme : tant qu’il y a un accord, il y a délit.
Pour condamner, les juges devront donc démontrer que les deux individus avaient agi dans un but précis : l’un pour obtenir une décision favorable et l’autre pour obtenir un avantage en échange de son influence.
UNE SANCTION LOURDE DE CONSÉQUENCES
Le Code pénal prévoit pour les deux délits une peine de dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende, « dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction ».
Nicolas Sarkozy avait été condamné en première instance, avec ses deux comparses, à trois ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis. Toutefois, rejugés devant la cour d’appel, ceux-ci sont encore présumés innocents et pourront être relaxés ou reconnus coupables.
En cas de nouvelle déclaration de culpabilité le 17 mai 2023, la cour pourra confirmer la peine rendue en première instance, l’adoucir ou, au contraire, l’aggraver, le cas échéant.
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