Avec le “Digital Services Act”, l’Union européenne veut mettre fin au Far West sur internet
Autrice : Tatiana Ballester, master de droit des médias électroniques, Aix-Marseille Université
Relecteur : Philippe Mouron, maître de conférences en droit privé, Aix-Marseille Université, Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)
Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani
Le règlement sur les services numériques, ou DSA dans sa version anglais abrégée, a été publié. Il tend à responsabiliser les grandes plateformes d’Internet : transparence des méthodes de modération et des algorithmes, lutte contre la désinformation, protection de données, amélioration du droit de signalement, etc. Avec le règlement sur les marchés numériques (DMA) publié juste avant, voici un “package” au service des utilisateurs, qui devra faire ses preuves.
Le 27 octobre dernier, le règlement sur les services numériques, plus communément intitulé le Digital Services Act (ci-après DSA) a été publié. Ce texte européen, qui doit entrer en vigueur dès 2024, tend à protéger les citoyens des États membres de l’Union européenne, de certains abus liés aux plateformes internet.
Ce texte vient concrétiser le principe selon lequel “ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne”, et vise à lutter contre les dérives de la face sombre d’Internet, en mettant en place, notamment, des nouvelles obligations pour les “géants” du net.
Responsabilisation de certains acteurs du numérique
Le DSA définit les règles de responsabilité des fournisseurs de services en ligne, et fait suite à un autre texte de septembre 2022 : le règlement sur les marchés numériques (DMA). Ce dernier, qui devrait être applicable au 2 mai 2023, vise à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants d’Internet, afin d’atténuer les effets de leur position quasi-monopolistique sur le marché européen.
En adoptant le DSA, l’Union européenne affirme sa volonté de réguler le monde numérique, surtout face à la dérégulation qui semble avancer aux États-Unis. Ce règlement vient actualiser partiellement la directive sur le commerce électronique adoptée en 2000 qui créait déjà un cadre légal au marché européen des services en ligne.
Le DSA a pour objectif principal de responsabiliser les acteurs d’internet, dont les plateformes intermédiaires en ligne qui proposent leurs services sur le marché européen. Cela concerne les plateformes utilisées par plus de quarante-cinq millions d’utilisateurs européens par mois (autrement dit les GAFAM : Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft). Cela concerne aussi : les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ; les fournisseurs de services informatiques à la demande (cloud computing) ; les fournisseurs de services intermédiaires (réseaux sociaux, market places, les plateformes de partage de contenus ou de voyage et d’hébergement, etc.).
La lutte contre les contenus illicites
C’est une des mesures phares du DSA. L’ensemble des fournisseurs de services intermédiaires est soumis à une obligation de régulation des contenus illicites sur Internet, Notamment, une modération (avec entre autres un outil permettant de signaler facilement et de façon compréhensible les contenus illicites) devra être mise en place.
De manière générale, les hébergeurs et plateformes en ligne auront l’obligation de mettre en place un système de notification des contenus, qui devra être claire et accessible. Plus particulièrement, les plateformes devront coopérer avec des “signaleurs de confiance”. Ce statut pourra être attribué par les coordinateurs des services numériques à des entités ou à des organisations, dans chaque pays. Globalement, ces signaleurs de confiance, s’apparentent à des organismes de fact-checking. Autrement dit, les coordinateurs de services numériques pourraient accorder aux plateformes le pouvoir de nommer des signaleurs de confiance. Ce titre pourra être attribué notamment, à des associations de lutte contre les discriminations dès lors que ces dernières disposent des compétences et expertises nécessaires pour détecter, identifier, et notifier les contenus illicites.
Les GAFAM, en plus de cela, se voient attribuer un rôle en première ligne dans la lutte de la diffusion de masse des contenus illicites, notamment en les obligeant à procéder à des analyses de risques d’impact systémiques de ces contenus. En écho avec les crises récentes (l’épidémie de Covid-19, ou encore l’agression de l’Ukraine par la Russie), un mécanisme de réaction aux crises touchant la sécurité ou la santé publique a été envisagé, pouvant imposer aux plateformes, pendant un temps limité et déterminé, des mesures d’urgence. Ces mesures d’urgence peuvent être caractérisées, notamment, par l’optimisation des processus de modération des contenus et l’accroissement des ressources consacrées à cette modération, ou encore l’adaptation des conditions générales et l’adoption de mesures de sensibilisation.
Le DSA précise que si des utilisateurs abusent de la fonction de signalement, leur accès à cette fonction pourra être suspendu pendant une certaine durée, qualifiée de raisonnable.
L’obligation de transparence en ligne
Autre mesure phare du DSA, la publication obligatoire de rapports annuels de transparence pour les plateformes concernées. Autrement dit, les plateformes devront rendre plus transparentes leurs décisions en matière de modération des contenus, d’abord par un “système interne de traitement des réclamations” permettant aux utilisateurs dont leurs comptes ont été suspendus ou bloqués de contester la mesure.
Ensuite, le DSA impose aux plateformes d’expliquer le fonctionnement des algorithmes qu’elles utilisent dans le but d’émettre des recommandations publicitaires. L’obligation de transparence est poussée jusqu’au registre des publicités et sur l’activité de profilage des plateformes. Ce registre devra être mis à disposition du public par les GAFAM.
Ce qui devient interdit
Afin d’assurer un espace numérique protecteur pour les utilisateurs européens, certaines pratiques deviennent clairement interdites, et d’abord la publicité s’adressant aux mineurs. En conséquence, les plateformes ne pourront plus proposer aux utilisateurs européens de moins de dix-huit ans des annonces publicitaires ciblées en fonction de leurs données personnelles. De même, les plateformes ne pourront plus adresser aux utilisateurs des publicités basées sur les données sensibles de ces derniers : leur sexe, leur orientation sexuelle, religieuse, politique, etc. Enfin, le DSA poursuit une lutte contre les dark pattern, ou autrement dit les interfaces trompeuses.
Afin d’assurer le respect de ces obligations un “coordinateur des services numériques” sera établi : il s’agira d’autorité indépendante désignée au sein de chaque État membre. En France, cela pourrait s’apparenter à une autorité des médias, autrement dit, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (l’ARCOM). L’ensemble de ces coordinateurs collaboreront au sein d’un comité européen des services numériques.
Un espace numérique sûr et responsable
Ce plan de régulation vise à lutter contre les dérives du monde numérique. La Commission européenne ainsi que les coordinateurs des services numériques pourront prononcer des sanctions allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial. Des mesures plus lourdes, telles que le bannissement du marché européen, pourront aussi être prises.
Certaines plateformes ont d’ores et déjà développé des outils de contrôle dans la perspective de l’adoption de ce texte, par exemple le conseil de surveillance de Facebook, ou encore l’unité spéciale d’Amazon créée en 2020 afin de lutter contre la contrefaçon.
Certains voient dans le DSA une entrave à la liberté d’expression. C’est le cas d’Elon Musk, dont les intentions, après le rachat de Twitter, d’en faire un lieu où la liberté d’expression serait absolue, laisse déjà entrevoir les abus de certains utilisateurs et la difficulté d’y imposer la régulation issue du DSA.
Dans le cadre d’un partenariat avec le Master 2 Droit des médias électroniques de l’Université d’Aix-Marseille, Les Surligneurs vous proposent une sélection d’articles entre novembre 2022 et janvier 2023. Plus d’articles peuvent être consultés sur le site internet de l’Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)
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