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Jean-Philippe Tanguy, le 28 mai 2025, à l'Assemblée nationale. Crédits : Thibaud Moritz / AFP

La suspension de la réforme des retraites pourrait-elle être censurée par le Conseil constitutionnel ?

Création : 17 octobre 2025

Auteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS, laboratoire droit et changement social, Nantes Université

Relecteur : Nicolas Turcev, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste

Source : Jean-Philippe Tanguy, le 14 octobre 2025

Le député RN Jean-Philippe Tanguy affirme que l’amendement qui sera introduit dans le budget de la Sécurité sociale sera « sans doute » considéré comme un cavalier législatif. Mais les sages de la rue de Montpensier ne devraient pas censurer cette disposition.

Voué à l’échec ? Dans une publication sur X du 14 octobre, le député du RN Jean-Philippe Tanguy affirme que l’amendement de suspension de la réforme des retraites, qui devrait être introduit en novembre dans le budget de la Sécurité sociale, « sera sans doute censuré au Conseil constitutionnel comme cavalier ». Mais en réalité, l’institution de la rue de Montpensier ne censurera probablement pas cette disposition.

Qu’est-ce qu’un cavalier législatif ?

Selon l’article 45 alinéa 1 de la Constitution, tout amendement à un projet ou une proposition de loi est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. Si ce n’est pas le cas, on appelle cela un « cavalier » législatif.

Datant de la révision constitutionnelle de 2008, cette disposition transpose dans la loi fondamentale une décision du Conseil constitutionnel de 1985, qui exige un lien entre un amendement et le projet de loi en discussion.

Depuis, le Conseil constitutionnel censure systématiquement ces « cavaliers », notamment les « cavaliers budgétaires » inscrits dans une loi de finances et les « cavaliers sociaux » inscrits dans une loi de financement de la Sécurité sociale.

Les retraites relèvent bien de la Sécurité sociale

Fondée sur le principe de solidarité nationale, la Sécurité sociale assure bien la prise en charge des allocations vieillesse. La vieillesse et le veuvage sont une des cinq branches de la Sécurité sociale, aux côtés des frais de santé (maladie), du soutien à l’autonomie, des prestations d’assurance sociale (famille) et des prestations d’accidents du travail et de maladies professionnelles…

C’est la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) des travailleurs salariés qui assure la gestion de l’assurance vieillesse des travailleurs salariés.

Issues de la réforme constitutionnelle du 22 février 1996, les lois de financement de la Sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et donc des retraites, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.

Une loi de financement de la Sécurité sociale peut réformer les retraites

Si les réformes Fillon de 2003, Woerth de 2010 et Touraine de 2014 ont été faites par des lois ordinaires, c’est bien par la voie d’une loi de financement rectificative de la Sécurité sociale que la réforme Borne de 2023 a été adoptée.

Ce choix avait d’ailleurs été contesté par l’opposition, qui considérait déjà cette procédure législative comme inconstitutionnelle.

Saisi à la fois par la Première ministre et des députés, le Conseil constitutionnel n’a, à l’époque, pourtant rien trouvé à redire. Les sages de la rue de Montpensier estiment que, si les dispositions relatives à la réforme des retraites auraient pu figurer dans une loi ordinaire, leur présence au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle.

Qui plus est, l’institution considère qu’elle doit simplement vérifier que le contenu de la loi de financement de la Sécurité sociale se rattache aux exigences du Code de la Sécurité sociale.

Ainsi, si une loi de financement de la Sécurité sociale peut réformer les retraites, un amendement gouvernemental à celle-ci peut tout autant revenir sur cette réforme, dès lors qu’il prévoit les ressources correspondant à cette disposition. Il ne peut donc pas être considéré comme un « cavalier législatif », contrairement à ce qu’affirme Jean-Philippe Tanguy.