Le salafisme est une conviction, Xavier Bertrand ne peut pas l’ “interdire”

Création : 25 août 2021
Dernière modification : 24 juin 2022

Auteur : Vincent Couronne, docteur en droit public, chercheur associé au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay

Source : Le Journal du dimanche, 21 août 2021

Interdire le salafisme reviendrait à interdire une opinion religieuse, ce qui n’est pas permis, ni même possible en pratique. Nous ne sommes pas dans un film de science fiction où chacun aurait une puce dans le cerveau bloquant des pensées interdites par la loi. En revanche, interdire les manifestations du salafisme est possible, et bonne nouvelle pour Xavier Bertrand, ça existe déjà, du moins lorsque cette manifestation est susceptible de porter atteinte à l’ordre public.

Dans une interview au Journal du dimanche au lendemain de la prise de Kaboul en Afghanistan par les talibans, Xavier Bertrand, président récemment reconduit de la région Hauts-de-France et candidat à l’élection présidentielle, a dénoncé la “naïveté confondante” du président de la République Emmanuel Macron sur l’islamisme. Il considère que le locataire de l’Élysée n’a “absolument pas pris la mesure de la menace” qui pèse “sur notre société et nos valeurs“. Et d’en tirer une proposition choc : interdire tout bonnement le salafisme. Ce n’est pas le premier à faire une telle promesse. Du Parti socialiste au Rassemblement national, plusieurs responsable politiques ont proposé en 2017 d’ “étudier l’interdiction du salafisme” (Manuel Valls, PS, en 2018) voire de l’interdire (David Rachline, RN, en 2017).

On était au lendemain d’attentats islamistes et comme l’écrivaient Les Surligneurs à cette époque “Est-ce le « salafisme » qui a tué une fois de plus à Carcassonne, ou plus lamentablement la misère intellectuelle ?“. Est-ce le Dieu des chrétiens qui a poussé Anders Breivik à tué sur l’île d’Utoya en Norvège, ou plus prosaïquement est-ce l’acte d’un déséquilibré ?

Interdire l’opinion salafiste : juridiquement impossible

On l’aura compris : reprocher des actes à une conviction revient à déresponsabiliser ceux qui commettent ces actes. S’immiscer dans les pensées relève d’un système totalitaire qui interdit de penser que la terre est plate, quand bien même cette proposition est contraire aux faits les plus élémentaires. C’est pour cela que ni la loi ni la Constitution ne peuvent interdire une confession ou une opinion. La Déclaration des droits de l’homme et di citoyen de 1789 est claire (article 10) : “Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses“. Cette Déclaration a la même force que la Constitution et est complétée par la Convention européenne des droits de l’homme (article 10) : “Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou idées sans qu’il puisse y avoir d’ingérence des autorités publiques...”. Un texte ratifié par la France et qu’elle applique quotidiennement pour protéger les citoyens fasse aux abus des autorités politiques.

Xavier Bertrand veut-il interdire l’opinion salafiste, ou ses manifestations ?

Mais Xavier Bertrand ne veut sans doute pas empêcher d’avoir une opinion religieuse, mais plutôt interdire ses manifestations. Il précise d’ailleurs dans l’interview sa volonté de “dissoudre les organisations islamistes qui propagent une idéologie politique incompatible avec nos valeurs“.

La Déclaration des droits de l’homme le permet dans une certaine mesure car elle ajoute après le “Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, “, un “pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi” (art. 10). La Convention européenne des droits de l’homme est sur la même longueur d’onde : ces libertés peuvent être soumises “à des restrictions” qui sont “des mesures nécessaires dans une société démocratique” pour garantir “la sécurité nationale” ou encore “la défense de l’ordre“. Ce qui peut être interdit, c’est donc l’expression publique de ces opinions, ou l’injure basée sur ces opinions, parce cette expression publique serait, aux yeux du législateur, contraire à l’ordre public : incitation à la haine, atteinte à la dignité des personnes, etc.

Ainsi, le législateur peut interdire les prêches salafistes publics s’il considère, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, que cette expression est en soi contraire à l’ordre public, par les messages véhiculés.

La loi prévoit déjà des interdictions, sous certaines conditions

Mais en réalité, interdire expressément les prêches salafistes serait probablement inutile, car la loi interdit déjà la plupart des messages véhiculés par les prêcheurs en tant qu’ils incitent à la violence et à la haine. La loi permet également de dissoudre les associations et groupements de fait qui propageraient des idées incitant à la haine, à la discrimination ou à la violence, ou encore qui se livreraient à des activités de préparation d’actes terroristes (article L212-1 du Code de la sécurité intérieure). Une possibilité déjà utilisée pour dissoudre plusieurs associations comme BarakaCity, Cheik Yassine, le CCIF ou plus récemment Génération identitaire. La loi confortant les principes de la République, dite “loi séparatismes” adoptée le 23 juillet dernier prévoit même le possibilité de dissoudre une association dont seulement des membres commettraient ces actes. Mais ces dissolutions doivent être faites au cas par cas, pas de manière générale, pour ne viser que celles qui violent la loi.

La loi peut être encore renforcée, mais elle ne pourra en aucun cas, pour les raisons évoquées plus haut de respect des opinions religieuses, interdire purement et simplement le salafisme.

On ne pourra pas dissoudre une association seulement parce qu’elle est salafiste, mais parce que ses actes sont contraires à la loi. Il suffit donc d’appliquer la loi, et de laisser les gens penser ce qu’ils veulent.

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