La Russie exclue du Conseil de l’Europe : une sanction aux conséquences juridiques lourdes
Dernière modification : 21 juin 2022
Auteur : Nelson Ollard, doctorant en droit international, Université de Poitiers, CECOJI
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng
Le 16 mars 2022, la Russie a été exclue du Conseil de l’Europe. Une décision historique : cette sanction de nature politique, prévue à l’article 8 du Statut de l’organisation internationale, n’avait encore jamais été mise en œuvre. Les conséquences juridiques de cette décision sont importantes, tout particulièrement en matière de droits fondamentaux.
Deux sanctions étaient possibles au sein du Conseil de l’Europe
Le Conseil de l’Europe est une organisation internationale créée en 1949. Son but : une union autour de valeurs communes, aux premiers rangs desquelles la démocratie, l’État de droit et la protection des droits fondamentaux. L’idée sous-jacente est qu’il existe une forme d’identité européenne structurée autour de ces valeurs. Afin d’en assurer la promotion et la sauvegarde des libertés, le Conseil dispose d’un champ de compétence vaste, qui n’exclut que les questions relatives à la défense nationale (Article 1er du Statut du Conseil de l’Europe).
L’organisation, d’abord cantonnée à l’Ouest de l’Europe, s’est progressivement élargie vers l’Est jusqu’à englober depuis 2007 l’ensemble de l’Europe à l’exception de la Biélorussie. Soit, avant la sortie de la Russie, 47 États membres. Le Conseil s’organise autour de deux organes principaux : l’Assemblée parlementaire, composée de délégations de parlementaires nationaux, est avant tout un organe délibératif, qui formule des avis et recommandations au Comité des Ministres, organe décisionnel, qui regroupe les ministres des affaires étrangères des États Membres.
Or, l’article 3 de son Statut érige la prééminence du droit et le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en principes structurants. En cas de non-respect de ce texte, le Conseil de l’Europe peut adopter deux formes de sanctions politiques.
Un premier mécanisme se trouve dans le règlement intérieur de l’Assemblée parlementaire, aux articles 8 et 9 : l’Assemblée parlementaire peut refuser la délégation d’un État Membre, ce qui se pratique parfois, notamment à l’encontre de la Russie. Ainsi, l’État visé se trouve privé de toute représentation au sein de l’Assemblée, sans pour autant être exclu.
Le second mécanisme est prévu par l’article 8 du Statut, il permet au Comité des Ministres de suspendre un État membre de son droit de représentation, ce qui signifie qu’il ne peut plus participer aux réunions du Conseil. Le Comité des ministres peut également inviter l’État membre à se retirer de l’organisation internationale, voire l’exclure. Cet article 8 fut activé contre la Grèce en 1969, mais la procédure avait été stoppée avant son terme. Si bien qu’elle n’a jamais été mise en œuvre jusqu’à présent.
Comment en est-on arrivé à la sanction la plus lourde contre la Russie ?
Ce ne sont pas les premiers déboires de la Russie face au Conseil de l’Europe. Cet État, qui a adhéré en 1996, a régulièrement fait l’objet de condamnations de la part des institutions du Conseil. Il en fut ainsi en raison de la guerre de Tchétchénie en 1999, pendant l’invasion militaire en Géorgie en 2008 ou bien à la suite de l’annexion de la Crimée en 2014 : la Russie s’est trouvée plusieurs fois sanctionnée ou menacée de l’être. À chaque fois, c’est finalement le simple refus de délégation devant l’Assemblée parlementaire qui a été activé.
Ainsi, entre 2014 (annexion de la Crimée) et 2019, la Russie fut privée du pouvoir de représentation au sein de l’Assemblée. En 2019, la délégation russe avait finalement été accueillie de nouveau, en geste d’ouverture et de dialogue.
Avec l’invasion de l’Ukraine, l’article 8 du Statut fut cette fois-ci activé. Le 25 février, le Comité des ministres suspendait la Russie de ses droits de représentation dans les institutions. Devant l’escalade des tensions, l’Assemblée parlementaire a finalement estimé dans un avis du 15 mars, que la Russie ne pouvait plus rester membre du Conseil de l’Europe, et a recommandé au Comité des ministres de mettre en œuvre la deuxième partie de l’article 8, à savoir la procédure l’exclusion.
Le 15 mars, la Russie dénonçait le statut du Conseil de l’Europe afin de sortir par elle-même de l’organisation internationale. Malgré cela, le Comité des ministres a adopté le 16 mars sa propre résolution sur la cessation de la qualité de membre de la Fédération de Russie. Comme prévu dans celle-ci, la sortie s’est opérée le jour même, marquant la première exclusion de l’histoire du Conseil de l’Europe, qui ne compte donc aujourd’hui plus que 46 membres. Cette mise au ban a d’ailleurs rejailli sur la Biélorussie qui a été suspendue de son statut d’observateur, en raison de son soutien à la Russie.
Les premières victimes : les libertés du citoyen russe
L’État exclu et le Conseil de l’Europe cessent d’être liés dans leurs obligations juridiques réciproques. Cela implique que la Russie ne peut plus participer aux réunions des organes du Conseil de l’Europe. Autres conséquence, la Convention européenne des droits de l’Homme, et donc des libertés qu’elle protège, ne s’applique plus en Russie.
Or, cette convention est d’une importance particulière pour la protection des citoyens : c’est un des rares textes internationaux qui institue une juridiction permanente, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), chargée notamment de traiter les requêtes de simples particuliers contre leur propre État qu’ils accusent de violer les libertés.
Ainsi, à compter du 16 septembre, il ne sera plus possible pour les citoyens russes de bénéficier de la protection offerte par la Convention. De même, aucun particulier, quelle que soit sa nationalité, ne pourra saisir la Cour à l’encontre de la Russie. La Cour qui avait initialement décidé de suspendre l’examen de toutes les requêtes contre la Fédération de Russie a en effet décidé de maintenir un délai de six mois, conformément à la procédure de retrait prévue par la Convention.
S’agissant toutefois des affaires dites “pendantes” devant la Cour (c’est-à-dire des procès en cours), elles continueront d’être examinées et feront l’objet d’une décision. De même, pour les violations des libertés commises avant le 16 mars par l’État russe, la Cour devrait rester compétente.
De plus, la Cour européenne des droits de l’homme traite également de contentieux entre les États eux-mêmes, et il existe au moins cinq contentieux interétatiques entre l’Ukraine et la Russie, qui sont pendants. La Cour avait également prononcé des mesures provisoires depuis l’invasion russe, afin de protéger les civils. Enfin, le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’Homme assuraient un suivi laborieux de plusieurs décisions déjà anciennes de la Cour contre l’État russe, que ce dernier n’applique pas.
On voit bien là toute la différence avec les sanctions précédemment formulées par le Conseil de l’Europe. La Russie restait jusqu’alors obligée par ses engagements juridiques, notamment en matière de protection des droits fondamentaux. Cela n’a pas manqué d’être rappelé par le Comité des ministres dans une résolution du 2 mars, alors que la Russie était simplement suspendue. Entre un droit international malmené ou l’absence de droit international, les États membres du Conseil de l’Europe ont cette fois tranché pour la seconde option. Les premières victimes ne seront donc pas l’État russe, mais les Russes eux-mêmes.
Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.