La préfecture aurait-elle pu sanctionner l’imam de la mosquée des Bleuets plutôt que fermer tout le lieu de culte ?

Création : 23 août 2024
Dernière modification : 26 août 2024

Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relecteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Source : BFMTV, le 21 août 2024

Alors qu’une procédure de fermeture administrative vise la mosquée des Bleuets pour incitation à la haine, le député Sébastien Delogu s’est interrogé sur la pertinence de la mesure. Selon lui, la préfecture aurait dû sanctionner la personne de l’imam plutôt que toute la communauté. Une idée possible mais pas vraiment privilégiée dans la jurisprudence.

À la demande de M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, le préfet de police des Bouches-du-Rhône a lancé aujourd’hui une procédure de fermeture de la mosquée des Bleuets”, a annoncé ce mardi 20 août, la préfecture de police dans un communiqué de presse. Pour elle, “l’imam principal de cette mosquée y défend une vision fondamentaliste légitimant le recours à la violence”.

Le lendemain, le député de la 7ème circonscription des Bouches-du-Rhône, Sébastien Delogu, s’exprimait sur BFMTV à ce sujet. “On a affaire à une punition collective, pour une personne qui a des propos délictuels, on en arrive à fermer un lieu de culte. On est en train de créer un problème plutôt que de le régler.”  Il demande à ce que seul l’imam en question, Smaïn Bendjilali dit “Ismaïl”, soit visé par la justice et que la mosquée des Bleuets puisse continuer à être fréquentée avec un “imam d’intérim”. La préfecture aurait-elle pu faire autrement ? 

Un arsenal juridique en place depuis 2017

La cadre juridique derrière la fermeture d’un lieu de culte, comme une mosquée par exemple, a pas mal évolué ces dernières années, explique Clément Benelbaz, maître de conférences HDR en droit public à l’Université Savoie-Mont Blanc. Auparavant, il était possible de fermer des lieux de culte soit pour des raisons d’ordre public, soit en cas de violation des règles relatives aux établissements recevant du public (par exemple problèmes de sécurité ou de capacité d’accueil), soit sur le fondement de la loi de 1955 sur l’état d’urgence.” Deux récents articles servent désormais de bases juridiques.

En 2017, la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme créé l’article L227-1 du code de sécurité intérieure qui sera renforcé en 2021 avec la loi dite “séparatisme”. Cette dernière modifie en même temps la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État en y insérant un article 36-3

Ces articles de loi disposent que le préfet de police peut “prononcer la fermeture des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes”. 

Sont aussi indiquées les conditions dans lesquelles la préfecture peut prendre cette mesure de fermeture administrative : la fermeture ne peut excéder six mois et doit être proportionnée. 

Dans le cas de la mosquée des Bleuets, le lieu de culte n’a, pour le moment, reçu qu’un avis de fermeture et a dix jours pour faire des observations. A l’issue de ce délai, un arrêté de fermeture sera pris et le lieu de culte pourra déposer un recours devant le juge administratif.

Une justification des propos via les réseaux sociaux

Depuis l’évolution du cadre juridique depuis 2017, il y a eu davantage de décisions administratives et de contentieux, note Clément Benelbaz. Outre l’arsenal juridique, les préfectures peuvent s’appuyer sur les discours et propos partagés sur les réseaux sociaux. C’est le cas ici où le préfet de police a, par exemple, déclaré à propos de l’imam Ismaïl que “le problème, c’est de postuler sur les réseaux sociaux en 2020 que le viol conjugal est légitime”.

L’imam Ismaïl est en effet très présent sur les réseaux sociaux où il a plus de 123 000 abonnés sur Facebook par exemple. Dans sa notification à la mosquée, le préfet de police des Bouches-du-Rhône se serait, en partie, appuyé sur des tweets, selon l’imam lui-même. Maître Rafik Chekkat qui représente l’association gérante de la mosquée a assuré aux Surligneurs que la majorité des griefs concerne les réseaux sociaux. 

Le préfet a aussi justifié sa décision par la non-modération des commentaires sur les réseaux sociaux. “Quand des propos haineux en écho à ses publications sont tenus par des commentaires sur les réseaux sociaux, l’imam ne les modère pas”, a dit Pierre-Edouard Colliez au Monde

En 2022, le Conseil d’État avait invalidé la fermeture d’une mosquée à Pessac. Selon lui, l’association avait bien publié des propos sur les réseaux sociaux qui “incitent au repli identitaire et contestent le principe de laïcité”. Mais ceux-ci avaient été postérieurement supprimés, précise Clément Benelbaz, et la question de la proportionnalité de la sanction et du contexte ont été cruciales. “Ces publications ne présentent pas, compte tenu de leur teneur et dans les circonstances de l’espèce, un caractère de provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination”, écrivait le Conseil d’État alors.

La question majeure qui est posée c’est avant tout ‘est-ce que ça peut conduire à encourager la haine et la violence’”, analyse l’enseignant de droit public de l’Université Savoie-Mont Blanc. Reste à savoir si les propos incriminés ont bel et bien été tenus et s’ils sont de nature à provoquer la haine.

Fermer tout le lieu de culte ? 

Pour le député Delogu, cette “punition collective”, qu’est la potentielle fermeture de tout le lieu de culte, aurait pu être réglée via le Conseil Départemental du Culte Musulman. Selon lui, le CDCM aurait pu mettre l’imam Ismaïl de côté, mais ne pas fermer la mosquée pour continuer aux fidèles de le fréquenter. 

Pour Clément Benelbaz, prof de droit public, ce n’est pas aussi simple. “Pour la compétence du CDCM, ce serait là une réaction en interne du culte et qui ne regardent qu’eux, explique-t-il. L’État n’a normalement pas à s’immiscer dans les affaires internes des cultes et donc chacun peut s’il le souhaite écarter ou sanctionner un ministre du culte qui ne convient pas ou plus.” 

Pour autant, une décision de ce type ne conditionne pas la mise en œuvre de la procédure de fermeture administrative. “Les textes ne prévoient pas cette procédure interne avant de prononcer la fermeture, rappelle Clément Benelbaz. Ce serait plutôt une réaction diplomatique et politique interne du culte.

“Le principe de séparation interdit au politique de s’immiscer dans le religieux”

Mais alors, la préfecture aurait-elle pu faire autrement et condamner simplement l’imam ? Ce que propose le député Delogu est dans les faits, possible, mais une solution très peu utilisée par les pouvoirs publics. Dans notre cas, ni l’imam, ni d’autres responsables de la mosquée n’ont fait l’objet de poursuites judiciaires. 

Pour Clément Benelbaz, l’idée des pouvoirs publics est donc d’avoir un spectre plus large qu’en condamnant uniquement la personne qui a tenu les propos. “D’’après moi, en procédant à la fermeture administrative, l’autorité publique envoie un message aux croyants en leur disant de ‘faire le ménage chez eux’.” Pour l’enseignant, cette méthode peut, d’une certaine façon, s’apparenter à une immixtion indirecte du politique dans le religieux. “Normalement, le principe de séparation interdit au politique de s’immiscer dans le religieux (et inversement), rappelle Clément Benelbaz. L’Etat n’a pas à dire aux croyants quel responsable religieux ils doivent mettre ou pas, d’où cet avertissement indirect.

 

Mis à jour : 26 août 2024 avec la suppression d’une citation mal contextualisée

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