La Pologne dénonce l’ingérence de l’Union européenne mais souhaite continuer d’en faire partie

Création : 14 octobre 2021
Dernière modification : 24 juin 2022

Auteur : Hugo Leroux, master droit de l’Union européenne, Université de Lille

Relectrice : Tania Racho, docteure en droit européen, chercheure associée à l’IEDP, Université Paris-Saclay

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au VIP, Université Paris-Saclay

La primauté, pilier juridique de la construction européenne, est à nouveau mise à mal au sein de l’Union depuis une récente décision du Tribunal constitutionnel polonais

Des dépressions se sont formées récemment en Pologne et une tempête pourrait bientôt s’abattre sur toute l’Europe. La primauté, pilier juridique de la construction européenne, est à nouveau mise à mal au sein de l’Union depuis que, jeudi 7 octobre, le Tribunal constitutionnel polonais a déclaré que certains articles des traités européens étaient contraires à la Constitution polonaise. 

L’« Union à la carte » dont s’inquiétait la Commission européenne en juin n’est plus si irréaliste

Le Tribunal constitutionnel polonais a longtemps tardé à rendre sa décision, reportée quatre fois. C’est maintenant chose faite. En mars dernier, le Premier ministre Mateusz Morawiecki avait demandé à la plus haute juridiction du pays de se pencher sur la conformité à la Constitution polonaise de dispositions européennes. Pour les tribunaux polonais, s’est aussi posée la question de l’exigence de se conformer aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne. À Bruxelles, la Commission s’est indignée de cette décision et a tenu à réaffirmer dans un communiqué la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national et la force contraignante des décisions de la Cour de justice. Le Commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, a déclaré que « tous les outils » devaient être utilisés pour protéger les principes fondamentaux de l’Union.

La Cour constitutionnelle allemande avait déjà remis en cause la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national, ce qui avait valu à l’Allemagne l’ouverture d’une procédure d’infraction. Et cela, alors même que la chancelière allemande, Angela Merkel, avait montré son opposition à la décision des juges de Karlsruhe. Dans cette affaire les faits étaient différents. La Cour constitutionnelle allemande remettait en cause l’indépendance de la Banque centrale européenne et refusait d’appliquer une décision de la Cour de justice de 2018. La primauté impose pourtant que les arrêts de la Cour de justice soient contraignants pour les juges nationaux. 

Il faut le rappeler, l’Union est fondée sur le principe de la primauté, c’est-à-dire le fait que face à une disposition nationale contraire au droit de l’Union, un tribunal ou une cour doit écarter… la disposition nationale. La Cour de justice rappelle régulièrement que ce principe exige des États membres qu’ils ne portent pas atteinte au droit de l’Union européenne censé primer sur les droits nationaux. Et c’est tout l’enjeu qui se joue dans le cadre de la récente décision polonaise. Cette décision soumet au contrôle du Tribunal constitutionnel certaines dispositions des traités de l’Union. Notamment, la Cour constitutionnelle polonaise a considéré que les articles 1 et 19 paragraphe 1 alinéa 2 du traité sur l’Union européenne, qui évoquent respectivement « une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe » et la protection juridictionnelle effective qui doit être assurée par les cours nationales, sont incompatibles avec des dispositions constitutionnelles polonaises. L’article 1 pose problème, selon le Tribunal constitutionnel, en ce qu’il permet aux institutions de l’Union européenne d’agir au-delà des compétences transférées par la Pologne, qu’il remet en cause la primauté de la Constitution polonaise et qu’il remet en cause la démocratie et la souveraineté polonaise. Tandis que pour ce qui est de la protection juridictionnelle effective, la Cour constitutionnelle s’inquiète de ce que l’article 19 du traité permette à la Cour de Luxembourg d’examiner l’indépendance des juges polonais. Cela est préoccupant selon Didier Reynders, commissaire européen à la Justice, car c’est une remise en cause des fondements de l’Union européenne. Les États membres seraient-ils bientôt libres de choisir les dispositions du droit de l’Union européenne qu’ils souhaitent respecter ?  

 Une décision prise par des juges à la botte du parti au pouvoir ?

La Pologne n’en est pas à son coup d’essai, elle fait l’objet depuis plusieurs années de diverses procédures au niveau de l’Union européenne pour non respect de l’État de droit,  qui implique que les juridictions soient indépendantes et impartiales, une règle qui, il faut le constater, n’est plus garantie en Pologne.

 Cette notion d’État de droit est une valeur pourtant commune aux États membres énoncée à l’article 2 du traité sur l’Union européenne et doit donc être respecté par les États qui l’ont mis eux-mêmes, à l’unanimité, dans le traité. La procédure instituée à l’article 7 du traité sur l’Union, qui tend à faire constater un risque clair de violation grave de l’État de droit, ou encore le recours en manquement devant la Cour de justice, sont des mécanismes qui permettent de sanctionner ceux qui ne respectent pas ces valeurs. Ce sont d’ailleurs des mécanismes qui ont été utilisés contre la Pologne. La procédure de l’article 7 a été utilisée pour la première fois le 20 décembre 2017. À quatre reprises, la Commission a ouvert des procédures dinfraction au sujet des réformes de la justice polonaise. La semaine dernière, dans une déclaration, la Commission s’est dite prête à utiliser les « pouvoirs qui lui sont conférés par les traités pour garantir l’application uniforme et l’intégrité du droit de l’Union. » Il est fort à parier qu’un nouveau recours en manquement sera ouvert contre la Pologne à la suite de cette décision du Tribunal constitutionnel.

La Pologne a en effet multiplié les réformes de son système judiciaire et comme s’en inquiétaient Eric Maurice, de la Fondation Robert Schuman, il semblerait que l’on assiste à une « transformation des magistrats en relais du pouvoir politique ». Ces juges seraient sous la houlette du parti politique au pouvoir, le Parti Droit et Justice (PiS), sans capacité de pouvoir s’en défaire car ils courent le risque d’être mis à la retraite prématurément par exemple. Le 14 février 2020, la Pologne donnait de grandes prérogatives à la chambre disciplinaire de la Cour suprême pour contrôler notamment les décisions concernant la mise à la retraite de ces juges. La Cour de justice, un an plus tard, a demandé la suspension de ces modifications législatives car elle considérait que cette chambre disciplinaire manquait d’indépendance et d’impartialité au regard des autorités publiques. L’indépendance des juges n’est donc plus garantie en Pologne. 

Le « Polexit« , un scénario écarté par le parti au pouvoir, mais il va falloir choisir

Certains voient dans cette décision les prémisses d’un Polexit, selon l’expression utilisée en référence au Brexit. Or, comme l’a affirmé sans équivoque le président du PiS, Jarosław Kaczyński, « il ny aura pas de Polexit (…) Nous voyons sans équivoque lavenir de la Pologne dans lUnion européenne ». Les Surligneurs ont « surligné » plusieurs fois qu’une telle remise en cause de la primauté de l’Union européenne n’est pas possible sans une modification des traités ou une sortie de l’État de l’Union européenne comme l’a fait  le Royaume-Uni.

Désormais, la fronde s’organise en interne. Ce mardi, le Comité des sciences juridiques de l’Académie polonaise des sciences a déclaré que cette décision du Tribunal constitutionnel constituait une « menace (aux) fondements de l’ensemble de l’UE ». Plus tôt, une association polonaise réunissant 3 500 magistrats avait tenu à rappeler dans une déclaration que ses juges se « conformeront aux jugements des tribunaux européens et (qu‘ils) défendrons les valeurs européennes », au mépris des sanctions de la chambre disciplinaire auxquelles ces juges feront face. C’est sans doute le prix à payer pour défendre l’indépendance de la justice.


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Mise à jour le 16 octobre 2021 à 9h35 : ajout de la réaction du Comité des sciences juridiques de l’Académie polonaise des sciences. 

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