La Mongolie aurait-elle dû arrêter Vladimir Poutine ?

Crédit : OSeveno (CC 4.0)
Création : 4 septembre 2024

Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relecteur.rice : Lili Pillot, journaliste, et Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Le 3 septembre, le président russe a effectué une visite officielle en Mongolie, alors même qu’il est visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale et que le pays des steppes est signataire du statut de Rome, fondateur de l’institution judiciaire.

Ce mardi 3 septembre, Vladimir Poutine a foulé le sol d’Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie. Il n’a pas été intercepté par la police mongole et n’a pas été emmené en prison, menottes aux poignets. Les autorités mongoles n’ont pas arrêté Vladimir Poutine, pourtant elles auraient pu. Et même plus, la Mongolie aurait dû arrêter le président de la Fédération de Russie.

En effet, depuis 2002, la Mongolie est un État partie au statut de Rome, traité international qui a créé la Cour pénale internationale (CPI) en 1998. Elle a donc “l’obligation de coopérer”, comme l’a rappelé un porte-parole de la CPI, Fadi El-Abdallah, dans les médias, alors que c’était la première fois que Vladimir Poutine annonçait sa venue dans un pays signataire.

Si ni la Russie, ni l’Ukraine ne sont signataires de la Cour pénale internationale, la CPI a tout de même pu se pencher sur les violations du droit international sur le sol ukrainien. En effet, après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, l’Ukraine a reconnu la compétence de cette juridiction pour poursuivre des auteurs de crime sur son territoire.

La nécessité d’une coopération des États membres

Mais ce n’est qu’en 2023 que le procureur de l’institution a émis un mandat d’arrêt international contre Vladimir Poutine. Il est “présumé responsable” de crimes de guerre en Ukraine pour la déportation d’enfants de zones occupées d’Ukraine vers la Fédération de Russie.

Ainsi, quand le président russe a atterri à Oulan-Bator, la Mongolie aurait dû l’arrêter pour le remettre à la CPI.

“Il n’y a pas de contumace à la Cour pénale internationale, précise Catherine Le Bris, chercheuse au CNRS et spécialiste du droit international à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Les intéressés doivent être physiquement présents pour pouvoir être jugés. Aussi tout repose sur les États membres et leur coopération.”

Si les États signataires — au nombre de 124 en 2024 — n’exécutent pas les mandats d’arrêt, la Cour pénale internationale est, de fait, affaiblie. Ce cas n’est pas une exception, l’ancien président soudanais, Omar el-Béchir qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international pour le génocide au Darfour avait déjà été en voyage dans plusieurs pays membres de la CPI (ou bien parties). Et cela, sans n’être jamais arrêté.

L’excuse de l’immunité diplomatique, non pertinente au regard du droit

Une des explications de la non-coopération de la Mongolie pourrait être la question de l’immunité diplomatique dont jouissent habituellement les chefs d’État. Pourtant, comme le rappelle Catherine Le Bris, l’article 27 du statut de Rome écarte toute immunité. “Cela signifie que la qualité de chef d’État est indifférente, explique-t-elle. A priori, l’immunité diplomatique ne s’appliquerait pas devant la Cour pénale internationale.”

En principe, si un traité n’est pas opposable à un État qui ne fait pas partie du traité (comme la Russie ici), il existe une exception à ce principe, explique Catherine Le Bris. “Un traité peut être opposable à un État tiers sans son consentement si ce traité produit des effets à l’égard de tous les États : on dit alors que ce traité est opposable ‘erga omnes’”. Du point de vue de la chercheuse, les normes du statut de la Cour pénale internationale produisent un tel effet, y compris celles relatives aux immunités.

Si l’immunité diplomatique pourrait être une excuse (apparemment non pertinente au regard du droit), le choix de la Mongolie de ne pas arrêter Vladimir Poutine est avant tout politique :  la Mongolie a des liens d’intérêts économiques et culturels avec la Russie ainsi que la Chine qui sont les deux grandes puissances qui entourent le pays.

D’autant que cette non-coopération ne s’accompagne pas de réelles sanctions de la part de la CPI. Il est notamment inenvisageable que les autres États membres à la CPI suspendent l’application du statut de Rome à l’égard de la Mongolie, malgré le fait qu’elle ait violé le traité. “En effet, cette procédure ne peut en aucun cas être mise en œuvre lorsque les dispositions en cause du traité concernent la protection de la personne humaine, développe Catherine Le Bris. Cette hypothèse est donc totalement à exclure selon moi. De plus, en pratique, ce serait totalement contre-productif de la mettre en œuvre.”

En effet, l’un des objectifs de la CPI est de faire en sorte que le statut de Rome soit ratifié par le plus grand nombre de pays. Une exclusion ou une non-application de cette convention internationale pourrait affaiblir la CPI et décourager d’autres pays de la rejoindre.

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