La moitié de l’aide financière américaine à l’Ukraine s’est-elle volatilisée ?
Auteur : Nicolas Turcev, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, journaliste stagiaire
Source : Compte Facebook, le 3 février 2025
Une interview du président ukrainien dans laquelle celui-ci affirme que son pays n’a reçu que la moitié des fonds états-uniens promis circule sur les réseaux sociaux. Selon des internautes, le reste du pactole pourrait s’être volatilisé. En réalité, l’extrait manque de contexte pour comprendre la situation.
Des dizaines de milliards de dollars d’aide états-unienne à l’Ukraine se baladent-ils dans la nature ? C’est ce que suggèrent plusieurs internautes, aiguillés par une déclaration en apparence tonitruante du président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Lors d’une interview à l’agence de presse états-unienne Associated Press, le 1ᵉʳ février 2025, le chef d’État a indiqué que, sur les 175 milliards de dollars promis par les États-Unis pour soutenir l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie, seulement « un peu plus de 75 milliards » ont été effectivement transmis. Soit seulement 42 % du total.
Quid du reste de ces fonds ? Les 100 milliards restants sont-ils « partis ailleurs », comme le suggère cet internaute ? Pas vraiment. Les Surligneurs font le point sur la situation.
183 milliards d’aides
Depuis le début de l’offensive russe en 2022, le Congrès états-unien a voté 175 milliards de dollars d’aide pour l’Ukraine. À cette somme, atteinte en avril dernier après la validation d’une enveloppe de 61 milliards, s’ajoute une rallonge de 8 milliards de dollars débloquée en septembre 2024 par Joe Biden. Au total, l’aide états-unienne à l’Ukraine s’élève donc à 183 milliards de dollars, comme le précise le site officiel du groupe de travail intergouvernemental sur l’aide à l’Ukraine.
Reste à savoir comment est ventilée cette somme. D’après le Council on Foreign Relations (CFR), un think tank états-unien spécialisé dans la politique étrangère, un peu plus de 100 milliards de dollars vient directement soutenir l’Ukraine, tandis que le reste est dépensé dans « différentes activités états-uniennes associées à la guerre, tandis qu’une autre petite portion soutient d’autres pays affectés dans la région ».
Sur ces 100 milliards, 69 sont consacrés à l’aide militaire, selon le CFR, corroborant le nombre donné par le gouvernement états-unien, et qui correspond peu ou prou à l’estimation du président ukrainien. Mais il est important de noter que la contribution états-unienne, quand bien même soutient-elle directement l’Ukraine, est surtout dépensée au sein même des États-Unis.
90 % de l’aide militaire déboursée aux États-Unis
L’aide fournie à l’Ukraine par ses alliés prend rarement la forme de monnaie sonnante et trébuchante. Comme le rappelle Volodymyr Zelensky lui-même dans l’entretien avec l’Associated Press, le soutien des États-Uniens se manifeste par la livraison d’armes, l’entraînement des troupes, le transport, des programmes humanitaires et sociaux… Autant d’activités qui ne nécessitent pas forcément de dépenser des fonds sur le sol ukrainien.
Selon le Center for Strategic and International Studies (CSIS), un organisme de recherche composé d’anciens hauts responsables au sein de l’administration états-unienne, « 90 % de l’aide militaire est dépensée aux États-Unis ». Cette proportion est de 60 % pour l’aide totale, qui comprend aussi une aide financière directe de 35 milliards de dollars pour assurer la continuité des services de l’État ukrainien. L’argent dépensé sur le marché domestique états-unien sert à financer les fabricants d’armes et à remplacer le stock national de matériel, en remplacement des équipements envoyés à l’Ukraine.
Tous les fonds n’ont pas été déboursés
Il faut ensuite souligner que, sur les 183 milliards de dollars d’aide à l’Ukraine, tous les fonds n’ont pas encore été déboursés par les États-Unis. Selon le bureau du budget du Congrès états-unien, « seulement » 60 % des fonds approuvés en 2024 seront effectivement dépensés à la fin de l’année fiscale 2026, soit au 30 septembre 2026, et 90 % d’ici à la fin de l’année fiscale 2028. Il est donc normal que la totalité de l’aide annoncée par l’Oncle Sam n’ait pas encore atteint l’Ukraine.
Le groupe de travail intergouvernemental sur l’aide à l’Ukraine confirme qu’au 30 septembre 2024, 86,7 milliards de dollars d’aide ont effectivement été versés. Selon des données plus récentes du Kiel Institute, au 14 février, les États-Unis ont fourni 114 milliards de dollars à son allié, dont 65 milliards d’aide militaire.
S’il est difficile de connaître les paramètres exacts du calcul de Volodymyr Zelensky pour parvenir à la somme de 75 milliards de dollars, sa déclaration est donc peu ou prou alignée avec les données fournies par les différentes sources officielles et les organismes de recherche. Il n’y a aucune surprise quant à la destination des fonds déjà engagés et de ceux qui doivent encore être déboursés.
Une fraude massive est-elle possible ?
Quant aux accusations de potentielles malversations d’ampleur liées à l’aide états-unienne, elles semblent infondées. Le groupe de travail intergouvernemental sur l’aide à l’Ukraine conduit régulièrement des audits sur l’allocation des fonds depuis 2022.
Le département d’État indiquait en août dernier qu’il n’existe pas de « preuve crédible d’un détournement illégal du matériel de défense, du soutien budgétaire ou de l’aide humanitaire états-uniens de la part de l’Ukraine ».
Des affaires de corruption liées aux contrats d’armement passés par les officiels ukrainiens existent néanmoins, sans toutefois venir accréditer la thèse d’un détournement gigantesque de 100 milliards de dollars, comme ont pu le prétendre certains internautes. Dont un fameux Elon Musk, protégé de Donald Trump, chargé de tailler dans la dépense publique états-unienne.
Le milliardaire, propriétaire de X (ex-Twitter), devra cependant renoncer à couper dans l’aide à l’Ukraine : le 47ᵉ président des États-Unis a annoncé, le 13 février, son intention de poursuivre les versements à Kiev « aussi longtemps qu’il le faudra ».