La loi sur les lanceurs d’alerte adoptée le 16 février 2022 est-elle vraiment la « meilleure d’Europe »?
Dernière modification : 27 juin 2022
Auteur : Jean-Philippe Foegle, doctorant à l’Université Paris-Nanterre, ancien chargé de plaidoyer à la maison des lanceurs d’alerte
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Sylvain Waserman, député (Modem) du Bas-Rhin, a affirmé, le 11 février 2022, que la France a « la meilleure législation européenne en matière de protection des lanceurs d’alerte ». Qu’en est-il réellement ?
Faute d’applications concrètes, il est difficile de décrire une loi comme étant ou non la « meilleure d’Europe ». Mais en comparant la directive d’octobre 2019 et le contenu de la loi dite « Waserman », il paraît à notre sens exact d’affirmer, à cette heure, que cette dernière est bien, sur le papier, la plus protectrice d’Europe.
Un statut ouvert à bien plus de personnes susceptibles d’alerter sur des faits illégaux ou contraires à l’intérêt général
La loi adoptée le 16 février 2022 se caractérise par son champ d’application particulièrement large. Ainsi, les articles 1 et 2 du texte précisent que sont protégés non seulement les salariés, mais également toute personne physique, qui révèle ou signale de bonne foi des violations du droit ou d’engagements internationaux, ou toute menace pour l’intérêt général. Sur ce point, la définition de la loi « Sapin 2 », qui était déjà considérée comme la plus large du monde, a été maintenue, et ce en dépit du fait que la directive n’oblige les États à transposer ses avancées que pour les salariés dénonçant des violations du droit de l’Union européenne.
Le nombre de personnes couvertes par le statut de lanceur d’alerte contraste fortement avec celui prévu par une directive de 2019, qui ne protège que les lanceurs d’alerte engagés dans une relation de travail, et uniquement s’ils dénoncent des violations du droit de l’Union européenne. De même, alors que la directive ne protège que les personnes physiques qui facilitent l’alerte, la loi « Waserman » concerne aussi les associations « facilitatrices d’alerte », à savoir celles qui assistent les lanceurs d’alerte en leur offrant un soutien juridique notamment. Enfin, alors que les militaires sont exclus du statut de lanceur d’alerte dans la majorité des autres États, la loi « Waserman » donne à ces derniers la même protection que les fonctionnaires civils.
Un statut couvrant mieux les risques de représailles judiciaires contre le lanceur d’alerte
Non seulement plus de personnes sont couvertes lorsqu’elles entendent dénoncer certains faits illégaux, mais leur protection est plus large, en particulier lorsque l’entreprise dénoncée lance ses avocats contre le lanceur d’alerte (recours dit « baillon »).
Premièrement, la nouvelle loi prévoit que les lanceurs d’alerte victimes de procédures juridictionnelles abusives ou de représailles professionnelles (licenciement, mise à pied…) pourront exiger de leur employeur une provision pour couvrir leurs propres frais de justice, en passant par le tribunal judiciaire. Ainsi, la France va bien au-delà de ce qu’exige la directive européenne.
Deuxièmement, la directive européenne prévoit que l’immunité pénale ne bénéficie qu’aux lanceurs d’alerte qui ne commettent pas eux-mêmes une « infraction pénale autonome », par exemple un vol de documents dans leur entreprise. C’est très restrictif. La loi française prévoit désormais que les lanceurs d’alerte ne pourront pas être poursuivis pour les éventuels délits commis afin de récupérer le support de l’information (vol de documents ou de données par exemple), dès lors qu’ils ont eu connaissance de cette information « de manière licite » (par exemple au cours d’une conversation). Ces délits ne seront pas punis, car ils auront servi à prouver l’existence de l’atteinte au droit ou à l’intérêt général. La loi française « excuse » donc certains délits. Concrètement, pour reprendre l’exemple fourni par l’initiateur de la loi, « nul n’a le droit de poser des micros dans le bureau de son patron pour savoir s’il y a quelque chose à trouver et lancer une alerte ». En revanche, « si l’on vous montre un rapport prouvant qu’une usine déverse du mercure dans une rivière, vous avez le droit de le subtiliser pour prouver les faits dont vous avez eu licitement connaissance ».
Museler ceux qui veulent museler les lanceurs d’alerte
Troisièmement, alors que la directive se borne à suggérer aux États de mettre en place des sanctions dissuasives envers ceux qui prennent des représailles contre les lanceurs d’alerte sans préciser lesquelles, la loi crée un nouveau délit : encourent trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amendes, les personnes qui cherchent à faire taire les lanceurs d’alerte par quelque moyen que ce soit.
La directive européenne ne protège les lanceurs d’alerte que contre une liste limitative de seize représailles, parmi lesquelles une suspension ou une mise à pied par l’employeur.
La loi fait du lancement d’alerte un nouveau motif de discrimination au sens de la loi de 2008 sur les discriminations, ouvrant au lanceur l’ensemble des droits prévus par cette loi (indemnisation pour discrimination indirecte, action de groupe par exemple). En outre, alors que le montant des indemnités de licenciement que pouvaient obtenir les lanceurs d’alerte était auparavant plafonné, ces derniers pourront désormais solliciter la somme qu’ils souhaitent. En effet, les licenciements pour motif discriminatoire ne sont pas soumis à ce qui appelle le barème Macron, qui limite le montant des indemnités de licenciement abusif qu’un salarié peut solliciter auprès du juge.
Une protection par le Défenseur des droits
Enfin, le Défenseur des droits voit son rôle en matière de protection des lanceurs d’alerte renforcé : il est chargé de veiller au traitement des signalements par les autorités dans les délais prévus par la directive (3 mois), et ses moyens sont renforcés (avec la création d’un adjoint). En outre, conformément aux recommandations de la directive, le Défenseur des droits pourra produire des recommandations certifiant qu’une personne remplit les critères juridiques pour être reconnue comme un « lanceur d’alerte », pour permettre à cette dernière d’avoir accès plus facilement aux droits dont elle bénéficie en vertu de la loi nouvelle.
La France, pour une fois, bonne élève de l’Union européenne
En 2019, l’Union européenne a adopté une ambitieuse directive sur la protection des personnes qui signalent ou divulguent des violations du droit de l’Union européenne. Le texte est entré en vigueur le 16 décembre 2019 et les 27 États membres avaient l’obligation de transposer la directive en droit interne avant la date butoir du 17 décembre 2021. À la date du 16 décembre, jour d’adoption définitive de la loi à l’Assemblée nationale, seuls 7 États membres (Chypre, Danemark, Lettonie, Lituanie, Malte, Portugal, Suède) avaient transposé la directive en question. La France est donc, à ce stade, le 8e État membre à transposer dans son droit interne le texte, 19 autres États accusant toujours un retard important. Cette situation a alerté la Commission européenne qui, le 27 janvier 2022, a débuté une procédure d’infraction contre les États n’ayant pas encore réalisé la transposition, afin de les inciter à mettre en œuvre dans leur droit interne les dispositions de la directive.
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