La loi Lagleize a-t-elle vraiment pour objectif “l’expropriation du patrimoine foncier des Français pour résorber la dette” ?
Autrice : Amandine Cayol, maître de conférences en droit privé, Université de Caen
Relecteurs : Clara Robert-Motta, journaliste / Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Hugo Guguen, juriste
Source : Compte Facebook, le 9 juillet 2024
Un écho tenace affirme que la “loi Lagleize” aurait pour objectif “l’expropriation du patrimoine foncier des Français” et servirait dès lors une “volonté de dépossession”. Outre l’interprétation trompeuse qui en est faite, cette proposition de “loi Lagleize” avait été adoptée au Parlement en 2019, mais n’a jamais passé l’étape de la discussion au Sénat.
“Renseignez-vous sur la loi Lagleize”, intime une vidéo YouTube, publiée en juin 2024. “Ces gens prévoient de vous exproprier de votre patrimoine foncier et vous feront payer un loyer en tant que propriétaire ! L’objectif : c’est la dépossession !”, assure un certain Olivier Piacentini. Outre le fait que cette “loi Lagleize” n’a toujours pas été adoptée, cette interprétation est en grande partie erronée.
Tout d’abord, il est inexact d’évoquer la “loi Lagleize” car ce texte n’a pas été définitivement adopté. Il s’agit en réalité d’une proposition de loi, déposée par le député Jean-Luc Lagleize, en 2019, qui a été adoptée à l’Assemblée nationale en 2019.
Examinée par la commission des affaires économiques du Sénat en 2020, la proposition de loi n’a jamais dépassé cette étape du processus législatif. Elle n’a donc jamais été adoptée par le Sénat, ni promulguée et encore moins mise en œuvre.
Mais qu’en est-il du fond ? En réalité, l’objectif expressément poursuivi par ce texte, en 2019, n’est pas “d’exproprier le patrimoine foncier des Français” mais, au contraire, de favoriser l’accession à la propriété. À l’origine de cette proposition de loi, l’augmentation considérable du coût du foncier qui est devenu un frein pour celles et ceux qui souhaitent accéder à la propriété.
Pour diminuer ce coût et favoriser l’accession à la propriété, le texte proposait, de manière originale, de dissocier la propriété du terrain et de celle de la construction qui se trouve dessus (le “bâti”).
Il s’agirait ici d’acheter le bâti, mais de louer le terrain seulement. Car dans les villes densément peuplées, c’est le terrain qui coûte très cher et qui constitue le principal frein à l’accession à la propriété immobilière : si on n’achète que le bâti et loue le terrain, le coût est moindre.
À noter que le texte n’était censé s’appliquer qu’aux appartements et non aux maisons individuelles, mais ne posait en revanche aucune condition de ressources. S’il est clair qu’un tel mécanisme est inhabituel, il n’est pas inconnu du droit des biens français. Il s’agit du “droit de superficie”.
Une dissociation entre propriété du bâti et propriété du sol qui existe déjà dans la jurisprudence
L’article 552 du Code civil pose comme principe que “la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous” : autrement dit, si vous possédez le terrain, vous possédez ce que vous construisez (ou plantez) dessus et en dessous. Mais c’est là le principe général auquel il existe des dérogations dans la jurisprudence.
Il arrive, exceptionnellement, que deux personnes différentes aient des droits sur un même terrain. L’une est propriétaire du sol, mais ne dispose pas de la surface. L’autre dispose de la surface et peut y construire des immeubles, dont elle sera propriétaire (on dit qu’elle dispose d’un “droit de superficie”). Il en résulte deux propriétaires de deux choses différentes : le tréfonds d’un côté, la surface avec ses constructions de l’autre.
Il existe des cas assez similaires prévus par la loi : le bail emphytéotique ou le bail à construction. C’est un contrat de bail par lequel le preneur s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée du bail (Code de la construction et de l’habitation, article L. 251-1).
Ce sont des baux de très longue durée (99 ans) qui donnent au preneur (celui qui loue pour construire), des droits très importants : le contrat peut prévoir que le preneur est propriétaire des édifices qu’il construit.
Consacrer une pratique dans la durée
L’originalité de la proposition de loi Lagleize serait ici d’envisager un droit de superficie potentiellement perpétuel. En effet, dans les cas précédents (usufruitier, bail emphytéotique, bail à construction), ce droit de superficie n’est que temporaire.
La juxtaposition de deux droits de propriété (l’un sur la surface et l’autre sur le tréfonds) résulte d’un simple découpage matériel dans l’espace, comme cela existe déjà dans ce qu’on appelle la “cession de volume”.
Ainsi, au contraire de ce qu’affirme la vidéo, ce découplage de la propriété du tréfonds et de la surface n’a aucunement pour effet d’“exproprier le patrimoine foncier des Français”. Il n’est en rien obligatoire. Il a pour but au contraire d’augmenter le nombre de propriétaires.
Certes, ces propriétaires le seraient seulement de la construction et non du terrain, mais la jurisprudence reconnaît depuis longtemps la qualité de propriétaire du superficiaire, qui est une propriété pleine, sur laquelle le propriétaire du tréfonds n’a aucune prise.
La proposition de loi Lagleize aurait donc seulement consacré une telle pratique sur le long terme. On le rappelle, cette proposition de loi n’a jamais été adoptée et donc n’a jamais été mise en œuvre.
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