La loi interdisant la dissimulation du visage est-elle une application de la laïcité ?
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers
Relecteurs : Clément Benelbaz, maître de conférences HDR en droit public à l’Université Savoie-Mont Blanc
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers
Source : Compte X d'Aurore Bergé, 9 décembre 2025
Même si la loi de 2010 sur l’interdiction de dissimuler son visage a eu pour effet l’interdiction du voile intégral, ce ne sont pas les signes religieux qui étaient visés mais plutôt la sécurité publique.
La loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État a fêté ses 120 ans ce 9 décembre. L’occasion pour certaines personnalités politiques de marquer l’évènement par un message d’anniversaire. C’est dans ce contexte qu’Aurore Bergé s’est fendue d’une publication sur X (anciennement Twitter) dans laquelle elle fait la rétrospective de l’application de la laïcité en France.
Elle cite pour cela, en appelant à pleinement les respecter, les lois de 2004 et de 2010. Sauf que si la loi de 2004 concerne bien l’application de la neutralité religieuse dans les écoles publiques, celle de 2010 n’a rien à voir avec la laïcité.
En effet, dans l’espace public, l’obligation de neutralité ne vaut qu’à l’égard des personnes publiques: l’article 28 de la loi de 1905 dispose qu’il est interdit « à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit ». Les particuliers ne sont donc pas concernés par cette interdiction et peuvent a priori porter ce qu’ils souhaitent.
Une loi surtout sécuritaire
La loi de 2010, dont parle la ministre à l’Égalité entre les femmes et les hommes, pose que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Si cette loi a de fait interdit le port des burqas ou des niqabs dans l’espace public, elle ne cite aucun signe religieux ni aucune religion directement, ce qui serait d’abord discriminatoire.
Le Conseil constitutionnel, à qui les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ont demandé de vérifier le contenu de cette loi, a confirmé que le fait de dissimuler intégralement son visage pouvait « constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaître les exigences minimales de la vie en société ».
La seule mention que le Conseil fait de la religion sert à restreindre le champ d’application de la loi. Il émet une réserve selon laquelle l’interdiction ne doit pas s’appliquer au sein des lieux de culte, même ouverts au public.
Le Conseil d’État a eu le même raisonnement. Saisi en amont de la fabrication de la loi, il a rendu un avis dès mars 2010 dans lequel il précise « qu’une interdiction générale et absolue du port du voile intégral en tant que tel ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable ».
Il suggère en revanche « que la sécurité publique et la lutte contre la fraude […] seraient de nature à justifier des obligations de maintenir son visage à découvert […] dans certains lieux ». Et c’est ce qu’a retenu le législateur au moment d’adopter la loi.
Ainsi, il est erroné juridiquement de la part d’Aurore Bergé d’assimiler la loi de 2010 à une étape de la laïcité.
