La France pourrait-elle se soumettre à une défense européenne, comme l’affirme Éric Zemmour ?
Autrice : Lucie Renoux, master droit de l’Union européenne à Lille
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, enseignant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Éric Zemmour sur CNews, le 6 novembre 2024
Contrairement à ce qu’affirme Éric Zemmour, l’Union européenne ne décide pas de la défense de ses États membres car les traités ne lui donnent pas cette compétence.
Invité par Christine Kelly sur le plateau de la chaîne CNews, Éric Zemmour a répondu, le 6 novembre dernier, à la question des leçons que la France pourrait tirer de l’élection de Donald Trump à la présidence états-unienne.
Il a souligné la nécessité, selon lui, d’une autonomie de défense pour la France et exprimé son opposition à une défense européenne intégrée, qui, d’après lui, soumettrait la France et les autres États membres aux décisions de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Or, d’après le droit de l’Union européenne, ces affirmations méritent une clarification.
Contrairement à ce qu’avance Éric Zemmour, la politique de défense européenne n’est pas dirigée par Ursula von der Leyen. Les décisions en matière de défense ne relèvent pas de la compétence de la Commission européenne qu’elle préside.
L’article 24 du Traité sur l’Union européenne (TUE) dispose que la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) « est définie et mise en œuvre par le Conseil européen et le Conseil, qui statuent à l’unanimité ».
La politique de sécurité et de défense commune (PSDC), est un volet de la PESC qui inclut la défense européenne (article 42 du TUE), elle repose sur la même méthode. Or, siègent dans ces deux institutions les représentants des États membres. Certes, la présidente de la Commission européenne assiste aux réunions du Conseil européen, mais elle n’y a pas de droit de vote.
L’Union européenne : encore loin d’une défense autonome
Bien que l’Union dispose d’une politique de défense commune, cela ne constitue pas pour autant une défense européenne unifiée comparable à une « armée européenne ».
Depuis les années 1990, la PSDC a évolué avec des missions de gestion de crise, mais reste une coordination interétatique. Il n’existe pas de structure de défense intégrée comparable à l’OTAN. La PSDC, qui inclut la notion de défense, repose sur des moyens civils et militaires fournis volontairement par les États membres pour des missions de maintien de la paix et de gestion de crises.
L’Union ne dispose donc pas d’une armée propre : les capacités mobilisées proviennent des États membres, qui en restent maîtres.
Des tentatives de création d’une défense commune ont déjà été avortées, notamment, en 1954, le projet de communauté européenne de défense. Certains États membres restent très peu favorables à cette idée, notamment les pays neutres, tels que l’Irlande.
L’évolution vers une défense européenne commune et donc la possibilité de créer une armée propre susceptible de se superposer au modèle de défense national, dépend actuellement soit de la révision des traités, soit d’une décision du Conseil européen (article 42 paragraphe 2 du TUE).
Dans les deux cas, ces options requièrent l’unanimité et, par conséquent, l’accord de tous les États membres sans exception, ce qui semble actuellement loin d’être réalisable.
La défense européenne, une compétence qui échappe à Ursula von der Leyen
L’UE ne dispose donc pas d’une défense européenne capable de rivaliser avec les défenses nationales. Même si cela devait se concrétiser, la défense ne pourrait pas être placée sous la tutelle d’Ursula von der Leyen en l’état actuel des traités européens. Contrairement à d’autres domaines d’action de l’UE, la Commission européenne n’a pas de compétence directe en matière de défense.
En effet, l’article 4 paragraphe 2 du TUE précise que l’Union respecte les fonctions essentielles de l’État, parmi lesquelles la sécurité nationale et la défense, qui relèvent de la seule responsabilité des États membres.
En matière de défense, les décisions sont prises par le Conseil et le Conseil européen à l’unanimité, où siègent les ministres et les chefs d’État ou de Gouvernement respectivement. Chaque État membre peut alors s’opposer à toute décision qu’il jugerait trop nuisible à ses intérêts nationaux (articles 15 et 16 du TUE).
Le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est responsable de la coordination des actions de l’Union en matière de défense, bien qu’il dépende politiquement du Conseil, donc des États membres.
Même si la personne qui occupe le poste, aujourd’hui l’Estonienne Kaja Kallas, est aussi automatiquement vice-présidente de la Commission européenne, cette fonction échappe à l’autorité d’Ursula von der Leyen.
Un soutien de la Commission dans l’industrie de défense
La Commission n’a pas de compétence directe en matière de défense, en matière de politique de sécurité et de défense commune, mais elle exerce une influence croissante par le biais de l’industrie de défense.
Depuis 2019, un portefeuille dédié à l’industrie de défense et à l’espace a été confié au Commissaire européen de l’époque, Thierry Breton, ancien ministre français.
En 2024, un poste de Commissaire spécifiquement chargé des questions de défense a été attribué à Andrius Kubilius, marquant l’importance croissante de cette thématique au sein de l’Union, notamment en raison de la guerre en Ukraine.
Depuis 2016 et plus particulièrement avec la création du Fonds européen de défense, la Commission s’investit en effet dans le financement et la coordination de projets industriels de défense, afin d’améliorer la capacité des États membres à agir ensemble.
Bien qu’elle soit limitée par les traités, la Commission joue un rôle indirect en soutenant l’innovation et la compétitivité dans ce secteur, sans pour autant empiéter sur les choix souverains des États en matière de défense.
Une autonomie maintenue pour la France et les autres États membres
En résumé, la défense européenne demeure un domaine de coopération intergouvernementale où les États membres conservent la maîtrise de leurs décisions. Les principaux articles des traités européens, notamment les articles 24, 42 et 4(2) du TUE, fixent des garde-fous pour empêcher l’Union de s’approprier cette compétence, qui relève fondamentalement de la souveraineté nationale.
Ainsi, bien que la Commission européenne se soit intéressée davantage aux enjeux de défense dans le cadre de ses compétences, la décision ultime reste entre les mains des États membres. La France, comme les autres États, peut choisir de coopérer avec l’Union, mais conserve pleinement sa capacité d’agir de manière autonome dans ce domaine.
Les craintes exprimées par Éric Zemmour sur une soumission de la France à une défense européenne dirigée par Bruxelles semblent infondées au regard des dispositions actuelles des traités.
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