La France insoumise souhaite-t-elle autoriser l’apologie du terrorisme ?
Autrices : Alicia Desbeux et Chloé Mathieu, M2 Droit pénal approfondi à Nancy
Relecteurs : Etienne Merle, journaliste
Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’université de Lorraine
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Compte Facebook, le 26 novembre 2024
En déposant une proposition de loi visant à abroger le délit d’apologie du terrorisme, La France insoumise souhaite bien supprimer cette infraction de la loi. En revanche, cela ne signifie pas que les propos faisant l’apologie du terrorisme ne seraient plus condamnés. Explications.
La France insoumise est dans la tourmente. Le 19 novembre 2024, le député LFI Ugo Bernalicis a déposé une proposition de loi à l’Assemblée nationale visant à abroger le délit d’apologie du terrorisme du Code pénal.
Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, le parti politique estime que l’apologie du terrorisme, telle qu’elle est actuellement incriminée, serait devenue un outil de censure disproportionné au regard de la liberté d’expression.
Mais cette proposition a provoqué de vives réactions de la part de personnalités politiques de tout bord. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, invité du 8 h 30 de Franceinfo, le 26 novembre dernier, a qualifié ce texte de « proposition de la honte ».
À gauche, le député du Parti socialiste, Olivier Faure, a estimé, sur le réseau social X, que la définition de cette infraction « demande seulement à être précisée pour en éviter les dérives ». Sur les réseaux sociaux, certains internautes accusent le parti politique de vouloir faire autoriser ce délit : « Avec cette abrogation, on pourra librement déverser partout dans l’espace public la haine, notamment antisémite », enrage l’un d’entre eux.
Face à la polémique, certains députés LFI ont tenté de clarifier leur position : « Nous n’abrogeons pas le délit d’apologie du terrorisme, nous le remettons dans le droit de la presse », a par exemple défendu Mathilde Panot sur BFM TV. Toutefois, cet argument n’est pas précisé dans la proposition de loi.
Alors, qui dit vrai ? La proposition de loi de La France insoumise va-t-elle autoriser l’apologie du terrorisme ?
De la loi de 1881 au Code pénal
Avant 2014, les faits d’apologie du terrorisme étaient réprimés, avec d’autres provocations et apologies, par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881. Puis, la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a retiré cette infraction de la loi sur la liberté de la presse pour l’insérer à l’article 421-2-5 du Code pénal.
Ce dernier ne définit pas la notion d’apologie du terrorisme, mais la Cour de cassation, dans un arrêt du 4 juin 2019, précise qu’il s’agit du « fait d’inciter publiquement à porter sur ces infractions ou leurs auteurs un jugement favorable ».
Ce transfert dans le Code pénal a fait de ce délit une infraction susceptible d’être jugée selon les procédures de droit commun, sans la protection procédurale découlant de la loi de 1881. Cela a entraîné plusieurs conséquences.
D’un point de vue procédural, le délai de prescription du délit est passé de 3 mois à 3 ans, puis 6 ans du fait de la loi du 27 février 2017 sur la prescription en matière pénale. Le recours à la comparution immédiate est devenu possible alors qu’il est en principe exclu pour les infractions de presse prévues par la loi de 1881. En théorie, cela permet également d’autoriser les techniques d’enquête relevant de l’antiterrorisme, comme la surveillance, les infiltrations, les interceptions de correspondances, etc.
Ainsi, ce changement a permis de soumettre cette infraction à un régime moins protecteur de la liberté d’expression, et donc, d’en faciliter les poursuites.
La fin du délit d’apologie du terrorisme ?
Pour autant, est-ce que cela signifie que les propos faisant l’apologie du terrorisme ne pourraient plus faire l’objet de poursuites ? Non, car de tels propos relèveraient alors du délit d’apologie de crimes, voire de crimes de guerre. Mais les condamnations ne seraient plus fondées sur l’apologie du terrorisme.
S’il n’était question que de liberté d’expression, il aurait sans doute été moins confus de prévoir de déplacer l’apologie du terrorisme dans la loi de 1881. La loi aurait ainsi explicitement qualifié le délit, tout en s’intégrant dans le cadre de la loi sur la liberté de la presse.
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